Mon fils vient de Miami pour quelques jours. Sa venue est une fête. Sa mère a préparé un cuisseau de porcelet farci aux herbes et pommes de terre rattes en robe des champs. J’ai prélevé un rouge en cave mais il est encore trop frais. Aussi, pour patienter, c’est avec un Champagne Salon 1982 que nous allons trinquer. Le bouchon résiste de façon incroyable. Usant d’une pince à crabe, j’essaie de le faire monter, mais on dirait que la dépression d’air l’empêche de monter. Après plusieurs minutes, j’arrive à l’extraire et le pschitt est moyen.
Dans les verres la couleur est délicatement ambrée et la bulle est active. Le champagne est l’expression absolue du champagne raffiné. Le nez est fort, pénétrant, et la bouche évoque les fruits compotés. Le caractère vineux du champagne est présent et sa longueur est inextinguible. Il est presque insaisissable et indescriptible. Mon fils me dit qu’il le préfère au Clos du Mesnil Krug de la même année. Je n’avais pas pensé à faire cette comparaison mais je comprends qu’il puisse la faire, car ce vin énigmatique est séducteur et troublant. Les deux champagnes étant très différents, je ne me prononcerai pas, jouissant de la présence glorieuse du Salon. La seule chose que je dirai, c’est que 1982 est une année romantique et raffinée, sans doute une des plus belles de Salon.
Pour attendre que le vin rouge ouvert juste avant le repas ne s’ébroue, nous n’avons à grignoter qu’un camembert un peu jeune ou un Brillat-Savarin truffé. Il faut absolument ignorer le deuxième et le camembert ne réagit pas si bien que cela. Nous nous rendons compte que c’est avec du pain et un délicieux beurre Bordier que l’association est la meilleure.
Pour la viande, c’est un Château Bel-Air Marquis d’Aligre Margaux 1966 qui a été prélevé dans la cave, lorsque mon fils m’y a accompagné. Le bouchon s’était brisé en de nombreux morceaux. Le vin est presque noir, lourd, et comme il n’est pas encore épanoui dans nos verres, il est imprécis. Il faudra de longues minutes avant qu’il n’atteigne la grâce que nous attendons. S’il est agréablement velouté, fort, tannique, avec des évocations de fruits noirs, je dois dire que je suis resté un peu sur ma faim car j’attendais mieux de ce vin. C’est certainement un problème de bouteille ou de stockage avant que je ne l’acquière, car il nous a montré que le potentiel est là. Ce vin riche aurait encore de belles choses à dire. A essayer de nouveau.