L’ami qui avait accosté devant ma maison du Sud en catamaran, vient dîner chez moi à Paris avec d’autres amis. J’ouvre un champagne Moët & Chandon Brut Impérial sans année vers 1990. Je suis impressionné par lé douceur et l’équilibre que ce champagne a pris avec l’âge. Voici un champagne qu’il faudrait oublier quinze ans en cave pour le boire au sommet de son art. C’est doux, délicat, rassurant, avec une petite pointe de fruit confit. Ayant anticipé l’ordre des champagnes, je deviens inquiet pour le second, tant ce Moët est charmeur. Mais le champagne Charles Heidsieck, mis en cave en 1996 va faire bonne figure. Plus jeune d’aspect, plus sec, à la bulle puissante, il expose une autre version tout aussi sympathique du champagne. Plus austère, plus scolaire mais agréable sur les deux foies gras, l’un nature et l’autre en terrine sous une croûte de pain d’épices, avec une gelée de fleur d’hibiscus.
Nous essayons sur ce même plat un Sauvignon blanc Württemberg Schnaitmann 2004 qui titre 13° dont je n’ai absolument aucune idée de l’origine. Comment était-il en cave ? Le vin est assurément très jeune, jeune puceau imberbe. Un goût de citron, de pomme, de litchi, et une naïveté qui n’est pas déplaisante. C’est assez anecdotique.
Sur une joue de bœuf aux carottes qui me remet en mémoire l’excellente joue que réalisait Benoît Groult à Amphiclès il y a bien longtemps, trois vins vont être bus à l’aveugle, avec une imagination de découvertes qui nous fait voyager dans beaucoup de régions fort étrangères pour ces vins. Le Château Lafite-Rothschild 1965 a très étonnamment une couleur trouble. Le nez est expressif. On sent la trame très dense d’un grand vin, mais, avouons-le, c’est un « Shadow Cabinet ». Ce n’est pas le Lafite tel qu’il pourrait l’être.
Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1956 m’avait – une fois encore – montré un bouchon noir et gras. Mais les odeurs promettaient de belles choses. Sa couleur est claire, d’un rouge grenat. En bouche, j’ai rarement bu un vin avec autant de fruits rouges. Ce sont des groseilles, des prunes qui envahissent la bouche. Le résultat est assez probant, même si on ne peut ignorer une fatigue de l’âge.
A l’aveugle, c’est de loin le Gattinara Casa vinicola Luigi Nervi & Figlio Italie 1964 qui est le plus flatteur. Il a un beau rouge bien vivant, un nez franc, et son goût simple, au discours clair est très plaisant. Bien sûr quand les vins s’épanouissent dans le verre, c’est le Grands Echézeaux qui livre la plus belle complexité bourguignonne. Mais ce petit vin italien m’a bien plu, comme à l’ensemble de mes amis. Sur les fromages, c’est le Grands Echézeaux qui vibrait le plus.
Le vrai choc, c’est Château Climens 1966. Car avec les rouges, on a besoin de réfléchir pour trouver ce qui reste de leur race initiale, car ces vins ne sont pas toujours au mieux de leur forme. Alors qu’avec ce Climens, tout est clair comme lorsqu’un professeur de mathématiques donne la clef d’un problème sur lequel on a bataillé. Quel immense plaisir que ce grand Barsac que j’adore ! Sur une délicieuse tarte Tatin, c’est l’accord parfait.