De plus en plus, je considère le restaurant Ledoyen, le trois étoiles de Christian Le Squer comme l’une des grandes tables de Paris. Devant organiser le 81ème dîner de wine-dinners à cet endroit pour la deuxième fois, j’ai trouvé de mon devoir, suivant mon esprit de sacrifice, d’aller goûter quelques plats pour vérifier l’adéquation avec les vins prévus. Et, considérant que mon sens du devoir nécessitait une abnégation totale, je choisis dans la carte des vins : champagne Salon 1982, l’une des plus grandes réussites de Salon.
Les petits amuse-bouche plantent le décor du talent du lieu. Ici l’on est marin, breton et raffiné. Cela permet à un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1995 offert par Géraud au verre de briller et de s’exciter de ces saveurs marines et terriennes. Les plats que mon épouse et moi avons pris ce jour là ne furent pas choisis pour les vins du dîner prochain, mais me remirent en mémoire le talent du chef. Sa langoustine en deux préparations est exceptionnellement bien cuite, ni trop ni trop peu, et son anguille est chaque fois pour moi un vrai bonheur. Les oursins que je goûtai dans l’assiette de ma femme sont éblouissants sur le Salon 1982, qui est un champagne d’une formidable personnalité. Il se présente poliment, et m’annonce comme dans le film « les visiteurs du soir », qu’il s’invite dans mon palais qu’il va investir et dominer. Le message est réellement envahisseur. Il sait accepter un plat ou le combattre, coupe la parole à toutes mes sensations. C’est à peu près Georges Marchais acceptant de participer à un dialogue à la condition d’être le seul à parler. Conquis, j’ai cédé à son invasion et à son incursion dans mon subconscient. Il m’a totalement dominé.