Après des journées bien tristes sous un ciel chargé de pluie, c’est le retour à Paris. Le pied à peine à terre, nous accueillons mon fils, sa femme, et une gentille troupe de cinq enfants. Mon fils pose sur la table un argument de poids : dans un linge dépassant des bords d’un cageot, un kilo de truffes s’offrent à notre regard. Je m’inquiète de savoir s’il n’y aura pas demain dans les journaux un écho au titre accrocheur : « le casse du siècle », car il n’est pas possible d’avoir chapardé un tel monceau de tubercules sans avoir défénestré ses détenteurs. Dans la table de la cuisine, sur une planche, un couteau découpe des tranches épaisses, que l’on oint dans une huile salée, qui s’empilent en liasses sur une baguette croustillante. Je prends conscience de la notion d’infini, car il y en a tellement que l’on peut tartiner sans limite. Le goût intense nous imprègne. Tout ceci se mange sans boire car nous sommes au milieu de l’après-midi. L’exercice continue au moment de l’apéritif sur un champagne Bollinger Grande Année 1990. La couleur s’est orangée, la bulle s’est calmée, et je n’attendais pas que ce champagne ait pris une telle maturité. Les Salon et Krug de la même année semblent des gamins. Mais le champagne est subtil, expressif, d’un fruit joyeux. On a en bouche un champagne riche, heureux, précis, patiné, mais qui n’a pas la complexité des Salon et Krug. La vitesse à laquelle la marée s’est retirée indique que nous l’avons aimé.
Pour les pommes de terre aux truffes, j’ai pensé à un vin blanc, pour changer du dernier essai, et j’ai prélevé en cave un Charlemagne, appellation contrôlée, Jacques Bouchard 1943. Ce n’est pas un Corton Charlemagne, mais un Charlemagne, vin blanc du Beaujolais. Au moment où je saisis la bouteille qui est présente dans ma cave depuis plus de vingt ans, je constate que le bouchon flotte dans le liquide. Je vais immédiatement carafer et je sens une odeur particulièrement plaisante. Le bouchon devait être à sa bonne place, et a glissé au moment où j’ai saisi la bouteille, sans polluer le contenu. Quand nous le buvons à table, je constate de nouveau une odeur précise et précieuse, une couleur d’un ambré presque rose plutôt que gris, et en bouche, je suis frappé par la perfection du vin. Même si l’on cherche le moindre indice de fatigue, on ne trouve pas le moindre défaut. Le vin a une magnifique acidité citronnée, un fruit riche et un final enlevé. On ne peut pas dire que ce vin est jeune car il fait son âge. Ce qui frappe au lieu de la jeunesse, c’est la vivacité. Je dirais très volontiers que c’est un vin parfait. Avec la truffe et sa pomme de terre à la crème, la cohabitation est quasi inexistante. Aucun des deux n’ajoute quoi que ce soit à l’autre, du plat et du vin. Il reste un peu de ce blanc pour accompagner un poulet fermier farci avec une abondante truffe. La chair du poulet vibre remarquablement avec le vin. Pour le volatile j’ai prévu Pétrus 1974. Mais c’est surtout la présence de truffes qui a guidé mon choix. Le niveau dans la bouteille est dans le goulot, le bouchon est d’une qualité exemplaire. Le nez du vin est clair, précis, et en bouche on est heureux. Le vin est assez discret dans son attaque, et quand il s’étend en bouche il décline une palette raffinée. C’est son final qui me ravit, vif, enjoué, d’un beau panache. Ce vin est l’exemple le plus convaincant de l’intérêt qu’il y a à ne pas juger ou comparer les vins. Car on a la bonne surprise que ce vin se comporte mieux que ce que l’on attend d’un 1974. Et on a une belle expression de Pétrus, que l’on aurait sans doute critiquée si elle était comparée à un autre Pétrus. Là, sans obligation de noter ou de comparer, on a un beau Pétrus qui nous rend bien l’hommage que nous lui faisons, car sur la farce à la truffe, Pétrus devient truffe, phénomène que j’ai très souvent remarqué. L’ambiance étant festive J’ai exhumé une vieille bouteille de Liqueur de la Vieille Cure qui doit bien avoir 70 ans. Les parfums champêtres et les douceurs sucrées ponctuent le retour familial en capitale.