Une société financière invite des clients et prospects. Le président est un gourmet et n’envisage que le meilleur : buffet créé par Guy Savoy, vins présentés par 1855 en présence de quelques vignerons dont Alexandre de Lur Saluces. On ne résiste pas à de tels arguments. Mais je ne serai pas le seul, car une foule immense se presse sur le lieu de ce cocktail. Il est quasiment impossible de s’approcher des buffets regorgeant de subtiles nourritures car une foule même distinguée reste toujours une foule. Je demande alors à Guy Savoy qui veut retourner dans ses bases : « puis-je venir dîner ? ». La réservation est vite prise. Avant de quitter cette manifestation de prestige, je bois un délicieux champagne rosé Billecart-Salmon, puis Château Mouton-Rothschild 2001 qui semble s’épanouir, un Hermitage La Chapelle Jaboulet 1998 qui est très plaisant dans les conditions dans lesquelles je le bois. Je vais maintenant aller goûter le talent de Guy Savoy dans le calme feutré de sa belle salle à manger.
Guy me suggère le menu qui sera composé ainsi sans l’intervention de son truculent et pince sans rire adjoint. Je ne peux pas ne pas prendre les petits pois. Ce sera ensuite un quasi de veau et enfin un foie gras avec des cèpes.
Nous discutons avec Eric Mancio du vin qui conviendrait à ce curieux assemblage de saveurs et je jette mon dévolu sur un Hermitage Chave blanc 1997.
Une première bouteille est bouchonnée ce qui nous attriste. La seconde est parfaite. Le petit amuse-bouche se compose d’une crème aux champignons et d’une petite pomme de terre au goût profond. L’Hermitage chante avec le champignon. Comme il est très poivré je demande un des délicieux toasts au foie gras sur pique et l’accord est vibrant. Il y a dans le vin un goût de miel.
Malgré ma légitime appréhension, le vin arrive à mettre en valeur le petit pois, ce qui avouons-le, n’est pas évident. Il exhausse sa crudité alors qu’il se fait réservé sur l’œuf. L’Hermitage a des évocations de lait, de crème, de brioche et un fort poivre. J’avais hésité sur la carte entre le Chave et le Châteauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe blanc 1992. Eric m’en apporte un verre. Immédiatement le Vieux Télégraphe apparaît plus ouvert, plus complexe, plus varié. Mais en y revenant on s’aperçoit que le Chave a plus de longueur et de race. Alors ? Comme souvent, il faut aimer les deux.
Je découpe la chair du quasi de veau sous les yeux de Guy qui me demande : « est-il trop ferme ? ». Je dis oui. « Est-il goûteux ? ». Je dis oui. Je fais remarquer à Guy Savoy que le chou farci qui est en garniture pourrait jouer un ton en dessous, car il monopolise le palais. Comme toujours, ce sont des remarques à la marge. Le Chateauneuf est plus rustique, le Chave est plus noble, le Chateauneuf est plus ensoleillé, le Chave est plus tendu. Le bouillon de veau est un bonheur gustatif. Le foie gras qui arrive est accompagné d’une sauce à la betterave, de copeaux de cèpes et de cèpes.
L’accord de l’Hermitage avec les cèpes est tellement éblouissant que j’en redemande une assiette pour partager ma joie avec Guy Savoy. Mais la préparation que j’ai dans l’assiette et faite pour plat ne peut être recommencée, aussi je reçois une assiette de cèpes juste poêlés. Et Guy me fait la gentillesse de venir communier avec moi sur un accord d’anthologie.
Il y a dans la salle de beaux bébés, car les rugbymen ou leurs supporteurs irlandais abondent. Le plat est comme eux, d’une grande virilité, mais l’exécution rend les saveurs prodigieuses, et le Chave produit un vrai miracle. Guy me dit que l’essence de l’accord vient de l’acidité. Je pense personnellement que l’accord vient du miel présent dans la cuisson des cèpes et dans le vin. Nous ne nous querellerons pas sur ce sujet car ce qui compte, c’est la perfection de ce que l’on goûte.
Il me faut me battre contre le souriant maître de salle pour ne pas recevoir les desserts ou mignardises. Mon combat est perdu d’avance. Quelle bonne idée que d’avoir décidé au pied levé de venir dans ce tabernacle de la grande cuisine !