Un dîner qui ressemble à un dîner de wine-dinners. C’est en famille, donc on essaie d’autres types de vin, dont certains plus risqués. Un champagne Taillevent non millésimé (Deutz en fait) vers 1990. Champagne comme j’aime, très classique, sec, de grande finesse. La légèreté du Deutz. Puis un Charles Heidsieck mis en cave en 1996. Beaucoup plus de fruit, de plaisir. Meilleur en bouche, mais moins fin. Un Pouilly Fuissé Charles Debaix 1961 que j’avais sorti à cause d’un niveau bas était franchement mort. Comme pour un parchemin, on distingue quelques lettres, mais le message n’est plus là. Un autre ouvert il y a quelques mois m’avait enchanté. A essayer une autre fois. Un Meursault Comte de la Rochefoucauld 1962 était beaucoup plus intéressant, mais quand même assez fatigué. Intéressant à lire, il fallait de grosses lunettes pour y trouver du plaisir. Après deux vins blancs plutôt faibles, risques assumés, un Figeac 1983. Quel vin adorable ! Nez complexe fait de terre, de cuir et de fruits de forêt (on voit le coté « expert »), ce vin épanoui et équilibré a ravi tous les palais. Figeac est un vrai grand Saint-Emilion. Et l’année 1983 est maintenant très agréable à boire. Après le charme du Figeac, beaucoup de convives avaient du mal avec le magnum de Rauzan-Gassies 1975. J’ai demandé d’attendre un peu avant de juger, et le vin s’est progressivement élevé à une belle hauteur. Un vin typé, agressif pour un Margaux, d’une belle acidité, et qui montre une nette personnalité de bon Bordeaux. Méfiez-vous des magnums. Il y a pour chacun un moment optimal. Un Nuits-Saint-Georges la Richemone Pernin Rossin 1982 se révéla en rondeur et épanouissement largement au dessus de ce que j’attendais : plaisir simple d’un vin souvent ignoré. Il se plaçait très bien à ce moment là. Et l’année 1982, qui est une des plus belles années de Bordeaux, et plus faible en Bourgogne, ne me déplait pas du tout en ce moment.
Conclusion provisoire avec Monbazillac Monbouché Domaine Marsallet 1921. Couleur de séquoia géant. Une odeur de café torréfié, de sucre caramélisé. Un goût de grand Sauternes (mais oui !), un peu plus alcoolisé sans doute. C’est très beau, chaleureux. Il y a manifestement un certain manque de complexité par rapport aux grands Sauternes, mais ces vins anciens méritent objectivement un intérêt car ils sont chaleureux et chatoyants. Ce producteur sympathique distille (si l’on peut dire) quelques trésors à l’occasion de rencontres. De tels plaisirs donnent l’envie de « s’abonner ».
Une liqueur de « Mézenc » du 19ème siècle (vers 1880) apportée par un ami a montré des saveurs étranges. Très sucrée, sentant les herbes aromatiques, la menthe et le poivre. Cet alcool a le même niveau de charme que ce qu’on trouve dans un vin de Chypre 1845. On a le même plaisir que si l’on trouvait une amphore dans un sarcophage égyptien datant de 2000 avant notre ère. Un alcool énigmatique qui mériterait un repas avec des alcools et apéritifs aux goûts étranges. J’en parlerai avec des amis cuisiniers : créer un repas où l’on présenterait des plats avec des apéritifs et alcools de près d’un siècle. J’aimerais travailler sur ce thème. Il y a certainement matière à créer un étonnement extrême.
Une Bénédictine des années 30 a été ouverte pour comparer les deux alcools. La Bénédictine a plus d’herbes, la liqueur d’angélique ( ?) a plus de sucre. Mais les deux ont des saveurs inimitables, aux irisations infinies.