Un dîner d’amis à la façon wine-dinners, chez Maxence, où il semble que nous soyons abonnés. L’énoncé du menu montrera aisément pourquoi : crème de langoustine à l’orange, gâteau de foie gras et caramel de Porto, asperges et morilles, oeufs sur le plat et mendiants, dos de bar, lie de vin et laitue braisée, pastilla d’agneau de lait, fromages, gelée d’agrumes et sorbet passion, douceur vanille et fraises des bois, mignardises. Etourdissant festival de saveurs réussies.
Pour commencer, un Bollinger 1992. Nous avons tous en tête le Bollinger 1990 qui est une pure merveille, mais pourquoi bouder son plaisir ? Ce Bollinger est excellent, et suffisant. Beaucoup de dégustateurs ne boivent que les grandes années, qui atteignent des prix très démarqués des années discrètes. Notre démarche est d’explorer toutes les versions d’un même vin. Si nous n’avions pas suivi cette voie, nous n’aurions jamais connu ce sublime Cheval Blanc 1941 qui valait bien des 1947 ! Un ami à qui je racontais cette bouteille me dit en souriant : en fait, tu as effacé la barre du « 7 » pour que cela fasse « 1 », pour faire une surprise. Ce serait d’une ruse extrême.
Un Chablis Grand Cru Grenouilles William Fèvre 1976. Belle couleur jaune, avec des petites traces de vert cuivré. Un nez de pierre, de terre, assez minéral comme aussi Meursault en offre parfois. Ce qui frappe immédiatement en bouche, c’est le gras de ce vin. Il remplit merveilleusement la bouche et n’a pas d’âge : il est intemporel. Le foie gras a légèrement raccourci ce vin, alors que l’asperge de cuisson parfaite l’élargit de façon charmante. Un grand Chablis.
Le magnum de Lafite 1919 est beau. Vieux flacon, peut-être beaucoup plus vieux que l’année. Avec une étiquette illisible, c’est le bouchon (parfait) qui a donné l’année : 1919. Un nez invraisemblable. Tout en douceur veloutée, mais enivrant. On ne se lasse pas de sentir ce vin, ouvert plusieurs heures avant le dîner. Ce qui m’a donné l’occasion de faire une constatation : il y a des vins qui ont un nez tellement exceptionnel qu’on ne peut s’empêcher de les sentir. Mais, fait encore plus intéressant : l’odeur est telle qu’elle dispense de l’envie de boire. On est tellement ébloui qu’on ne voudrait pas quitter ce stade accompli du plaisir. Ce Lafite 1919 fait partie de ces rares vins là, au nez aussi envoûtant que par exemple Margaux 1900 le plus beau nez de Bordeaux, ou Haut-Brion 1961 en magnum, le plus beau nez récent. J’ai senti la paralysie, voire l’anesthésie qui me prenait : il fallait prolonger ce moment de bonheur unique. Mais lorsque le plat arrive, il faut bien boire. Le plaisir est aussi grand, mais encore une fois, le nez suffisait.
Une gentille acidité, une élégance unique. Un des convives n’a pas « mordu » à ce vin. Nous avions bu auparavant ensemble Lafite 1986, et je comprends parfaitement que certains dégustateurs préfèrent les vins jeunes. Il faut en effet admettre que le goût est subjectif et culturel. La première moitié de la bouteille a été sublime. Puis l’acidité a été d’une présence croissante, éteignant progressivement la rondeur. Seul le fonds de bouteille a réveillé la richesse incroyable de ce grand vin. J’en déduis que si le magnum est une bonne taille pour faire vieillir un vin, ce n’est pas la taille idéale quand on ouvre un vin ancien : la deuxième partie a pris trop d’oxygène. A vérifier à nouveau, car ce pourrait être un cas particulier. A suivre.
Le Gilette crème de tête 1949 ouvert cette fois fut nettement meilleur que celui ouvert au Pré Catelan. Couleur dorée avec des touches d’orange et de cuivre, un nez de fruits confits, d’épices, de fruits tropicaux. Et ensuite un goût de Sauternes accompli, équilibré de « juste ce qu’il faut » pour avoir un grand Sauternes de plaisir. Bel exercice de style que de le confronter à des agrumes et à une crème légère aux fraises, qui développent certains de ses aspects.