Mon fils vit à Miami. Il vient une fois par mois régler les problèmes de gestion des affaires familiales. Nous dînons ensemble chez moi qui est son chez lui français. Il faut faire light, aussi au menu, c’est Pata Negra et œuf dur. Les retrouvailles, ça s’arrose. Un petit champagne ? C’est la question perfide, car je sais que la réponse sera oui. Je vais chercher un champagne au frais. C’est un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1983. La bouteille ne ressemble pas aux Enchanteleurs habituels, car le corps de la bouteille est un vrai cylindre, alors que les bouteilles habituelles sont bombées. Je trouve que celle-ci a plus de classe.
Le bouchon est très serré, et le pschitt lorsqu’il s’extrait est discret. Le champagne est d’un or de blé de juillet. Le nez est engageant. Le goût du champagne est « enchantelant », tant il est charmeur. On est sur des notes un peu fumées, de tabac, de fruit séché, et tout en lui est élégance. A boire, c’est un vrai plaisir. La distinction est extrême, avec des suggestions de palais royaux du 18ème siècle. On se voit réciter des madrigaux charmants en contant fleurette à une baronne parfumée. Nous grignotons de petites choses pour faire durer le plaisir et quand la bouteille est vide, arrive une sensation de manque. Le champagne se boit si facilement qu’il réclame une suite. Nous sommes raisonnables dans notre déraison aussi aucun « bis » ne sera accepté. Reste le souvenir d’un champagne de plaisir, élégant et à maturité, et ce doux sentiment de manque d’un revenez-y.
Nous l’avons comblé avec les restes du Porto Collection Massandra 1947 du 150ème dîner, toujours aussi chatoyant et doucereux, bien riche de complexité, dont la lie se composait de morceaux en fines lamelles, comme les pellicules de vieux films voilés.