Nous avions rencontré chez des amis des personnes fort sympathiques qui nous invitent en leur maison de la presqu’île de Giens. Je n’ai jamais vu une maison qui jouisse d’un aussi beau panorama. Au soleil couchant, c’est proprement féerique. La terrasse où nous sommes reçus est comme un amphithéâtre cerné de plantes tout droit sorties d’un jardin botanique. Chaque détail est raffiné. Ne connaissant pas les compétences de mes hôtes en matière oenologique, je leur demande en leur montrant le vin que j’ai apporté, un château Lafaurie-Peyraguey 1991 : « connaissez-vous ce vin ? ». Francis, maître de maison, sourit et me dit : « venez voir ». Et dans un seau, je vois château Lafaurie-Peyraguey 1999, prêt à être servi. Aurais-je un don pour les coïncidences ?
Les deux sauternes, le plus jeune en tête, accompagneront l’apéritif. Sur du Pata Negra Belota, l’accord est très amusant. Sur du foie gras, c’est un plaisir. Le 1999 est encore très jeune, assez massif alors que le 1991, nettement plus ambré est aérien. Il a un final d’une délicatesse et d’une fraîcheur rares. La juxtaposition de deux expressions si disparates du même vin alors que seulement huit ans les séparent est extrêmement intéressante.
Il y a autour de la table un américain, une autrichienne et un couple de français vivant à Madrid qui ont offert à leur fils un vignoble de Toro. La première cuvée faite par le fils s’appelle el Titan Dominio del Bendito, Toro 2004 et annonce sur la bascule la bagatelle de 15°. Je m’attends à ce que ça décoiffe. Or en fait, contrairement au Tempier de 14,8° récent, s’il y a le poids de toutes les techniques nouvelles, c’est ici parfaitement maîtrisé. Le vin est furieusement espagnol, et je perçois des analogies aux accents des vins de la Ribera del Duero, et malgré la lourde charge, le vin se boit bien. Nous en assécherons quelques flacons de forme fort jolie. Ce vin connaîtra certainement un beau succès commercial. Sur une crème d’ail doux, c’est délicieux et sur des magrets de canard aux pêches, l’accord se fait naturellement.
Les cannelés de Sylvie, attentive maîtresse de maison, sont de pures merveilles. Nous sommes encore parfaitement lucides pour jouer au billard américain. Est-ce pour pouvoir gagner que Francis me sert un marc du Domaine Ott fort goûteux, souhaitant sans doute que ma précision s’en ressente ? Il eût gagné sans cela.