La maison de champagne Deutz m’invite à la visiter. J’arrive à 10h30 au siège, et je découvre la maison bourgeoise de William Deutz, de style Second Empire, avec des décorations chargées mais de grand intérêt. Tout a été gardé dans le respect de cette période fastueuse. Le salon d’apparat, le salon chinois, et plusieurs très jolies pièces nous mettent dans l’atmosphère d’un temps où l’on prenait son temps.
Cette maison de champagne est une des seules où l’on puisse dire : « nous allons monter à la cave ». Car sur la colline, l’entrée des caves est très au dessus de la belle propriété. Dans une grande salle où subsistent d’imposants foudres, primitivement charpentée de bois et restaurée « à la » Eiffel, avec des poutres rivetées et des poteaux en fonte, des présentoirs montrent des documents de plus d’un siècle qui attestent de la vocation exportatrice de ce domaine, sous la houlette d’un William Deutz qui apparait sacrément entreprenant.
Après la visite des installations nous descendons de la cave, ce qui est une expression assez étonnante, et de retour à l’hôtel particulier , dans une salle qui a servi de jardin d’hiver, aux papiers peints sinisants restaurés, je vois sur la table en verre des feuilles imprimées à la date de ce jour, avec des cercles pour poser les verres de dégustation et les noms des champagnes que nous allons boire.
Le Champagne Amour de Deutz 2002 a un nez élégant et un goût joliment fumé et toasté. Très beau et élégant il est agréable à ce moment de sa vie.
Le Champagne Amour de Deutz 2000 a un nez plus marqué. Le vin est plus rond, avec un peu moins d’ampleur. Il est gourmand.
Le Champagne Amour de Deutz 1999 a un nez plus discret. Il est plus strict mais se distingue par un joli floral. Les trois sont marqués par l’élégance. Le 2002 est le plus grand avec de l’ampleur, mais les deux autres, avec des esquisses de noisettes, se tiennent bien dans le verre.
Le Champagne Blanc de Blancs Deutz 1989 a un belle couleur dorée. Le nez est un peu évolué. Il est complexe, surtout dans le final, avec des notes de moka et de pâtisserie. Fabrice Rosset évoque des parfums de fleurs séchées pour ce vin dégorgé en 2004. Le champagne est élégant avec une belle acidité. Il est noble, goûteux et agréable à boire.
Nous passons maintenant à quatre William Deutz qui ont du pinot noir, alors que l’Amour n’est que chardonnay.
Le Champagne Cuvée William Deutz 1996 montre instantanément sa différence avec les Amour. Le vin est riche, solide, complexe, de fruits dorés. La finale acide est très belle. On le sent gastronomique.
Le Champagne Cuvée William Deutz 1990 a un nez très puissant et déjà tertiaire. Il faut accepter son caractère assez inhabituel. Torréfié, avec des fruits compotés, il interpelle, mais on le sent aussi gastronomique.
Le Champagne Cuvée William Deutz 1988 est superbe, magique, et, lui, est totalement intégré. Il a tout pour lui, avec un équilibre parfait. Il est jeune et dans un état de grâce.
Le Champagne Cuvée William Deutz 1985 a un nez très élégant. Il est charmant, féminin, avec une autre forme de perfection, marquée de beurre et de toast. Le 1988 et le 1985 forment un couple masculin – féminin, de grand raffinement. Mon cœur balance en faveur du 1985.
Le Champagne Brut millésimé Deutz 1982 a une couleur presque orangée ce qui est curieux. Le vin est trop évolué et une autre bouteille ouverte semble marquée par le même signe d’évolution.
Le Champagne Brut millésimé Deutz 1975 est fait à 100% de pinot noir. Le nez est magnifique. Le vin est un peu rêche mais plaisant à l’attaque, puis il se montre difficile, manquant de structuration un peu comme ce que j’avais ressenti avec le 1990.
En faisant un nouveau tour de tous les verres maintenant aérés, le 2002 est fringant, le 2000 est brillant, le 1999 plus effacé. Le 1996 est gourmand, le 1990 s’est assemblé et va vers moka et caramel, le 1988 est grand, mais c’est le 1985 qui est exceptionnel. Il a tout pour lui, le charme, la finesse et l’élégance.
Je suis évidemment honoré que trois des dirigeants de ce domaine m’aient consacré autant de temps et aient choisi de si belles bouteilles à déguster. Nous descendons dans une belle salle à manger privée pour le déjeuner à quatre, dont le menu est : langoustines sauce Aurore / lotte sauce champagne et son riz / plateau de fromages / pomme cannelle au four.
En lisant le menu, je me demande à quel moment je pourrais faire intervenir la bouteille que j’ai dans ma musette dont aucun de mes hôtes ne soupçonne l’existence. Il me semble que ce doit être au début, car la sauce Aurore sera plus apte pour l’expérience que j’aimerais faire. J’ouvre ma musette et je montre le Vin de l’Etoile, Coopérative vinicole de l’Etoile 1952 à la magnifique couleur d’un ambre clair. J’ouvre la bouteille avec un tirebouchon normal et le bouchon se brise, mais tout rentre dans l’ordre. Le parfum du vin est magique, d’une rare puissance. Mes hôtes sont évidemment surpris de cette ajoute au programme.
L’idée qui me vient, échafaudée sans avoir bu, est la suivante : goûter la sauce riche des langoustines, boire le Champagne Amour de Deutz 2003 d’une belle délicatesse, goûter la sauce, boire du vin de l’Etoile puis goûter le 2003 et à mon sens, cela doit propulser le champagne Deutz à des hauteurs rares. Nous procédons ainsi et Michel Davesne, l’œnologue de la maison est saisi par la pertinence de cette succession et de l’effet multiplicateur du jurassien sur le champagne.
C’est alors que l’on entend toc-toc. Un visage féminin se montre subrepticement puis s’affirme, puis envahit la place. L’épouse de Fabrice Rosset ainsi que sa fille nous rendent visite. Elles s’assoient, on leur tend des verres des deux vins et elles nous rejoignent pour l’expérience, sans la sauce Aurore. Et madame Rosset, très affirmative, donne son verdict : « je ne trouve pas que le vin du Jura rehausse le 2003 ». Ce que femme veut, Dieu le veut. La messe est dite. Les dames nous laissent continuer notre déjeuner.
Les vins que nous avons bus sont le Champagne Amour de Deutz 2003 délicieux et délicat sur la langoustine, le Champagne Cuvée William Deutz 1999 puissant et serein, très à l’aise sur la lotte, l’Hermitage Les Bessards Delas 1990, le même que celui que nous partagerons dans quelques jours lors d’un dîner de vignerons que j’organise chaque année, riche et convaincant et le Champagne Cuvée William Deutz rosé 2000 qui est un beau rosé gastronomique, à l’aise avec le dessert, mais qui pourrait se confronter à des chairs très viriles. En cours de repas nous avons repris le Champagne Cuvée William Deutz 1985 qui continue d’être exceptionnel.
C’est un honneur extrême que d’être reçu aussi généreusement. J’ai pu explorer cette maison de champagne que je goûte relativement peu, car j’ai d’autres amours, et que je percevais surtout par le champagne Taillevent élaboré par Deutz. L’éblouissant 1985 ne me fera pas oublier que le reste de la gamme est de grand intérêt. Mais tout de même, ce 1985 est un vin immortel de première grandeur.
A l’entrée, le fameux Amour de Deutz
une femme, que l’on suppose légère, veut trinquer au champagne !
le salon de William Deutz
la salle des foudres refaite « à la Eiffel » et une magnifique étiquette de Deutz & Geldermann
le « poste » de dégustation avec les noms des champagnes
mon apport à ce déjeuner
et tout finit par un amour !