Ouille, ouille, ouille, c’est un déjeuner d’anniversaire, et c’est le mien. Il est des encoches que l’on aime graver sur son tableau de chasse. J’aimerais bien au contraire mastiquer les encoches de mon tableau et échanger quelques bouteilles de ma cave contre des années de moins.
Ce sera à la maison, en petit comité puisque mon fils vit à Miami et ma fille aînée avait des engagements. Mon gendre arrive avec un fond de Champagne Krug Grande Cuvée, qui, ayant perdu la force de sa bulle du fait de l’agitation en voiture, se révèle plus vineux, intense, profond. Un grand champagne.
Pour l’apéritif, pendant que les petits-enfants mangent, nous grignotons des tranches fines de pata-negra qui expriment la force de la noix. Ce jambon est exquis. Le Champagne Dom Pérignon 1990 plante tout de suite le décor : il est noble, il est jeune, il est à maturité et il est parfait. C’est un véritable bonheur que de boire ce champagne à l’équilibre absolu. Il est très différent du Krug bu il y a un instant. Alors que le Krug est vineux, le Dom Pérignon combine deux qualités : il est confortable et il est romantique. Ajoutons à cela qu’il est racé, subtil et d’une acidité calculée au millimètre. Sur le jambon espagnol et sur un délicieux foie gras que l’on tartine sur de la baguette, il montre sa joie de vivre. Boire ce 1990 c’est boire du bonheur, et l’on n’a pas besoin de se demander si l’herbe serait plus verte avec un autre champagne. Il est là, et il est bien.
L’épaule d’agneau de lait et le gigot, avec une émulsion de céleri est d’une rare gourmandise. Comme c’est mon anniversaire, mon œil s’était porté en cave sur un vin de mon année. La bouteille était si belle contemplée en cave, et de niveau impeccable, que j’hésitais à la choisir, car elle pourrait donner lieu à une remarquable confrontation avec de brillants bourgognes. Mais la tentation étant trop forte, alors que nous n’ouvrirons qu’un seul rouge, je l’ai choisie. Elle fut ouverte vers 11 heures, avec un parfum dépassant toutes mes espérances, et fut bue vers 14 heures.
Le Moulin-à-Vent Patriarche 1943 a une couleur magique. Le rouge est presque noir tant il est dense, et pas la moindre trace de tuilé n’est visible. Le nez est envoûtant, annonçant un vin dense et profond. On est en plein dans la Bourgogne, du côté des Côtes de Nuits. En bouche, j’ai failli m’évanouir. Qu’on se rassure, je restai calme, mais voir que tout ce que je défends se retrouve dans ce vin, cela m’émeut. J’ai la faiblesse de penser que si je défends les vins anciens, c’est parce qu’ils le méritent. Et là, ce Moulin-à-Vent est d’une redoutable évidence.
Alors, je m’en veux, car cette bouteille aurait pu servir d’une démonstration magistrale du fait que les grands beaujolais pourraient soutenir la comparaison avec les bourgognes les plus capés.
Quel dommage qu’elle n’ait pas servi à une comparaison. Car le vin est intense et velouté. Sa trame est propre, claire nette, de fruits noirs. Il y a une jeunesse dans ce vin qui rappelle un peu ma jeunesse puisque je suis de ce millésime (je plaisante bien sûr, et je précise, sur la jeunesse). Pour mon gendre il y a un petit côté animal noble. Pour moi c’est le velouté et les fruits noirs. Nous nous imaginons tous les bourgognes que nous aimons qui lui ressemblent. On est dans les Musigny.
Est-ce que ce vin a été hermitagé, a-t-il eu une adjonction de pinot noir dans les chais de Patriarche, je ne sais pas et je ne veux pas le savoir, car le résultat est impérial. Ce vin est grand, et tient pendant tout le repas. C’est un immense bonheur, par la valeur intrinsèque de ce grand vin gourmand, mais peut-être plus encore en ce jour d’anniversaire parce qu’il apporte la démonstration que j’ai eu raison d’acheter ces vins qui ne valaient pas tripette et en qui quasiment personne ne croyait.
Alors, c’est peut-être mon plus beau cadeau d’anniversaire.