Lorsque nous étions allés dîner chez Yvan Roux, invités par Jonathan, jeune ami français qui prépare son avenir en Australie, il nous avait demandé s’il pourrait coucher chez nous pour prendre son avion tôt le matin. Jonathan arrive dans l’après-midi et lorsque l’heure de l’apéritif sonne, il est temps de terminer le magnum de champagne Salon 1997 commencé avec mon gendre la veille. Le champagne a un peu perdu de sa bulle, mais il est toujours aussi brillant. Quelle prestance, quelle intelligence ! Nous nous régalons sur de la poutargue, qui donne au champagne plus de rectitude. Des toasts au foie gras donnent au champagne plus d’opulence et un charme capiteux.
Tout cela est si bon que le Salon s’assèche. Un Champagne Krug 1982 lui succède et il est intéressant de comparer l’incomparable. Le Krug est infiniment plus complexe, développant ses mille saveurs par vagues imprévues. Mais le Krug est beaucoup moins accueillant que le Salon. Il est comme une diva à qui tout est dû. Ainsi, il ignore la poutargue alors qu’il se complaît avec le foie gras. Au bout du compte, si la complexité du Krug est spectaculaire, mon cœur penche – ce soir – pour le Salon, plus flexible, plus adaptatif, et plus « champagne de soif ».
Nous avions bu la veille un Richebourg Anne Gros 1996 absolument magnifique. Il était tentant d’ouvrir un Richebourg 1996, lisible sur le bouchon, d’une bouteille sans étiquette ni capsule. C’est forcément un vigneron qui me l’a donnée, mais qui. Le souvenir me revient, et le bouchon le confirme, que je n’avais pas suffisamment examiné : il s’agit d’un Richebourg Anne-Françoise Gros 1996, offert lorsqu’elle est venue dîner dans notre maison du sud.
Chose curieuse, le bouchon se brise lorsque j’ouvre la bouteille, ce qui ne devrait pas arriver pour un vin aussi jeune. Nous goûtons, et le premier contact, aussi bien au nez qu’en bouche met des sourires sur nos lèvres. C’est un beau et joyeux Richebourg, solide dans sa structure. Mais plus le temps passe et plus il apparaît que la bouteille a dû connaître un problème de chaleur à un moment où à un autre. Le vin est plaisant, avec de belles évocations, mais il y a une légère amertume qu’il ne devrait pas avoir. Le poulet avec un risotto convient bien au vin que nous buvons avec plaisir.
Lorsque vient le moment du dessert, au lieu de rester à la table installée sous un toit de tuile, nous allons à une table en plein air où l’atmosphère est infiniment plus fraîche. Le vin s’est un peu rafraîchi et une tarte aux abricots, avec l’acidité prononcée des abricots, redonne un tel coup de fouet au Richebourg qu’il a totalement perdu les défauts qu’il avait il y a seulement quelques instants. Qui pourrait croire que l’acidité de l’abricot donnerait cet effet ? Nous finissons le vin avec la joie d’avoir retrouvé un Richebourg éminemment charmant, riche et profond comme nous les aimons.