Le 30 avril, c’est la veille du premier mai. Quand c’est un lundi, c’est l’occasion d’un pont. Aussi bien mon gendre que moi, nous sommes allés au bureau. Mais les horaires sont plus flexibles, aussi un dîner impromptu s’improvise. Aucune recherche gastronomique, car les petits-enfants dînent avec nous. J’avais repéré en cave une bouteille qu’il faut boire. Elle me paraît opportune.
Nous commençons par un Champagne Dom Ruinart 1990 qui est absolument splendide. Il a atteint un équilibre d’une sérénité rare. Il est vif, puissant, titillant le palais de sa pétillante vigueur. Sur du Pata negra, c’est un régal. J’ouvre le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953 bien tard. Le haut du bouchon non encore extirpé sent la cave humide, d’une terre noble. La couleur dans la bouteille est très engageante. Si le niveau est bas, l’essai semble possible. Le nez du vin est expressif. On peut y trouver du chocolat, du cacao, du café ou d’autres arômes, mais pour moi, c’est la signature inconditionnelle de la Romanée Conti qui est là : rose et sel.
La première gorgée est incertaine, car la subtilité du domaine est entravée par une légère déviation. Je sens que ce vin, s’il avait été ouvert quatre heures avant, serait splendide. Alors, on attend un peu. Et le vin progressivement s’étire, étend ses membres et déploie sa palette aromatique. Bien sûr, en fond de décor, il y a une certaine faiblesse. Mais l’expressivité du vin est telle que le plaisir s’élargit autant que le vin. Et la lie est tout simplement géniale, avec cette minéralité saline propre aux vins du domaine.
L’image qui me vient est celle de la Pointe du Raz. Quand on la voit sous la pluie – hypothèse recevable – c’est la Pointe du Raz que l’on voit, et l’on oublie la pluie. Avec ce délicat Richebourg, la fatigue est présente, mais c’est un Richebourg 1953 du domaine que l’on boit. Et comme on en perçoit lisiblement les contours, le plaisir est là. Nul n’est besoin de noter un tel vin. Capter sa finesse et sa subtilité est diantrement plus important.