On apprend toujours des vins, et j’adore ! C’est un déjeuner en famille pour l’épiphanie et le Noël des petits enfants absents à la date officielle. Nous sommes neuf, mes deux filles, leurs quatre enfants, mon gendre et ma femme.
Je suis descendu en cave, pour choisir les vins. Je suis paré pour les champagnes et un vin blanc que j’affectionne est à bonne température. Pour les rouges, je vais chercher dans une zone où j’ai isolé des « bas niveaux ». J’ouvre deux vins. L’un me semble définitivement perdu. L’autre émet des fragrances de fruits qui annoncent un retour possible. Pour ne pas être pris au dépourvu, je repère un vin de secours.
Pour l’apéritif, j’ouvre un Champagne Clos des Goisses Philipponnat 1992. D’emblée, on sent que ce champagne est grand. Il est sans histoire, c’est-à-dire qu’il trouve tout de suite son registre. La poutargue bien moelleuse lui donne de la tension du fait de son sel et son iode. Le champagne claque bien sur la langue. Pour mon gendre comme pour moi, il joue à un niveau supérieur à ce que nous attendions. Sa sérénité est remarquable. Pourquoi analyser un champagne qui est une synthèse ? Il conquiert nos cœurs sans avoir à décliner son identité.
Les coquilles Saint-Jacques sont cuites sur des galets déposés dans nos assiettes. L’effet est moins percutant que celui des langoustines cuites sur les mêmes galets. Le Clos de la Coulée de Serrant Savennières N. Joly 1990 apporté par mon gendre est un délice. Il attaque la bouche comme un bonbon. Ce sont les saveurs sucrées qui débutent, mais viennent ensuite des strates de complexité. Ce vin est grand, joyeux, mais on ne peut pas dire qu’il soit très complexe. Il est plaisant et « nature », gourmand. Les ormeaux que ma femme a cuits pour la première fois demanderaient un vin rouge, mais le Savennières s’en accommode bien. Il continue avec brio à s’accorder avec les coraux des coquilles qui sont normalement sur le terrain de chasse des rouges.
Je remonte le Château Ausone 1937 qui avait un niveau très bas. Je ne crois pas en lui, mais je goûte un vin qui est du vin, défavorisé par un final désagréable. Je ne le sers pas. Mon gendre constatera qu’il a encore quelque chose à dire mais qu’il ne faut pas insister.
La bouteille suivante était plus prometteuse à l’ouverture et effectivement le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953 a un nez sympathique, avec un joli fruit suggéré. En bouche le vin a les vibrations du domaine, avec le sel très caractéristique. Mon gendre voit de la vanille que je ne ressens pas. Le vin est objectivement un peu fatigué, et j’ai peur de la réaction de mes enfants, mais tout le monde le boit. Et sa complexité se développe sur le gigot d’agneau à la purée Robuchon. Ayant peur qu’ils ne vibrent pas avec ce vin où je trouve beaucoup de qualités du domaine, je vais ouvrir le vin de réserve.
La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1996 est une explosion de joie. Tout est si généreux, facile, gouleyant et agréable à boire. On va chercher bien vite un saint-nectaire et un vacherin qui l’accompagnent gentiment. Et c’est alors que mes enfants me disent : « tu sais, la Côte Rôtie est beaucoup moins intéressante et complexe que le Richebourg qui est superbe ». Et je suis heureux, car ce vin, qui avait à l’ouverture une petite fatigue s’est épanoui, est devenu à la fois salé et sucré, avec un velours confortable et une richesse qui devient explosive dans les dernières gouttes de la lie.
Alors que le vin de Guigal a tout pour lui, facile et plaisant, nous avons préféré un vin plus difficile mais porteur de plus de complexité et d’émotions. La convergence de nos réactions est le meilleur cadeau de Noël que je pouvais recevoir, car c’est agréable de nous savoir en phase.
Une de mes petites filles a eu la fève et m’a nommé roi. Tout va pour le mieux dans le royaume familial.