Ma femme aime chiner dans des brocantes où l’on peut constater que le génie humain n’a pas de limite. Je me demande parfois comment des gens ont pu oser dessiner et fabriquer des horreurs invraisemblables. Les lampes de chevet sur base de bouteille d’Orangina sont de l’art à coté de certains objets bucoliques (il faudrait savoir combien la biche a inspiré d’objets insupportables). Elle rapporte de sa chine deux bouteilles d’environ cinquante ans. Un Saint-Raphaël qui sera sûrement bon – j’en connais la saveur quand le quinquina est quinquagénaire – et une bouteille d’un litre, sérigraphiée de blanc, dont le titre est « Les vins réfrigérés », de la coopérative la Vidaubanaise. On y apprend au dos que la bouteille doit être rendue dans les trois mois à la coopérative. Nous n’avons donc que cinquante ans de retard. Le bouchon est rustre mais a joué son rôle car le niveau est beau. Le verre a été fortement imprégné par une lie sur l’ensemble de sa paroi comme si une acidité l’avait entamé. Je craignais un obscur vinaigre et voilà que ce vin exhale un parfum serein, assagi, de beau Côtes de Provence. Immédiatement je pense à ce Sainte-Roseline 1953 qui avait magistralement brillé lors d’un dîner (bulletin 111). En bouche, l’impression est moins forte qu’au nez, mais c’est plus que buvable, c’est plaisant. Et je me suis observé avec étonnement, me rendant compte que j’avais la fierté de ce vin, bu avec des amis, au moins aussi intense que si c’était une de mes plus belles acquisitions. Ce vin est comme mon enfant, et le voir se comporter comme un grand me fait un immense plaisir. La coopérative interrogée ne savait pas me dire ce qu’est un vin réfrigéré. C’est sans doute un Cotes de Provence vendu à la tireuse dans des cuves rafraîchies. Des vins, même à deux sous, quand ils ont quelque chose à dire, me remplissent de joie.