Le déjeuner du lendemain d’anniversaire est celui où vont s’ouvrir des vins que j’ai choisis lors d’une promenade en cave. Dans une case j’ai vu deux vins de Bourgogne de la maison Poulet négociant à Beaune depuis de 18ème siècle. Je les prends. Continuant mon vagabondage je vois un champagne Hubert Paulet. La sonorité du couple ‘Paulet Poulet’ m’amuse. Voilà les trois vins qui feront l’ossature du repas.
Pour les bourgognes anciens j’ai demandé à ma femme un gigot d’agneau. De bon matin je m’apprête à ouvrir les vins et je vois que ma femme a acheté de magnifiques fraises. J’ai envie qu’elles servent de début d’apéritif et il vaudrait mieux un champagne jeune. Il y en a un au frais.
Les bouchons des deux bourgognes viennent sans problème même s’ils se déchirent. Les parfums sont particulièrement engageants. J’ouvre ensuite le Champagne Hubert Paulet 1947 dont le haut du goulot est sale. Le bouchon se cisaille et je suis obligé de tirer le bas du bouchon avec un tirebouchon. Le parfum fait un peu vieux mais plaisant. Il y a même un embryon de pschitt.
Au moment de l’apéritif que nous prenons dans le jardin, du fait d’un soleil quasi estival, j’ouvre le Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 2004 à la belle couleur de jeunesse. Avec les fraises que l’on découpe en morceaux pour les marier au champagne, l’accord est entraînant. Un ami me demande d’où m’est venue cette idée. J’avais noté que fraise et champagne cohabitent dans la fraîcheur et l’idée de commencer ainsi un repas me plait.
Je sers maintenant le Champagne Hubert Paulet 1947 vigneron à Rilly. La couleur est beaucoup plus claire que ce que j’attendais, la bulle est belle. On sent que le champagne a un peu vieilli, mais il offre une personnalité et des complexités qui le rendent passionnant, beaucoup plus porteur d’émotion que le jeune Veuve Clicquot, encore puceau. Sur une tarte à l’oignon dont l’oignon a gardé de la sucrosité, l’accord avec le Paulet est superbe. Il en est de même avec une belle rillette et du fromage de tête.
Nous passons à table et le champagne de 1947 continue son parcours gagnant avec un délicieux foie gras préparé par ma femme.
Le Pommard Maison Poulet Père & Fils 1959 a une couleur très jeune et un nez expressif et délicat. En bouche il est raffiné, alors qu’il ne s’agit que d’un pommard générique. J’avais relu mes notes des Poulet que j’avais déjà bus. J’avais été souvent heureusement surpris. C’est encore le cas aujourd’hui.
Le Beaune-Teurons Premier Cru Sieurs Germain Poulet Père & Fils 1964 est très différent du 1959. Son parfum est plus viril et sa bouche puissante est plus noble que celle du pommard. Le premier est plutôt féminin, comme peuvent l’être les pommards, et le Beaune est plus masculin et c’est lui qui emporte nos faveurs car il est particulièrement brillant.
Ces deux vins jouent dans la cour des grands, le 1964 étant d’une qualité très élevée et d’une finesse remarquable, tant sur l’agneau que sur la purée de pomme de terre et céleri, délicat accompagnateur des vins.
J’avais envie d’ouvrir une bouteille rare de ma cave et je vais l’ouvrir maintenant, au moment du dessert. C’est un Rhum de Cayenne 1867. La bouteille a perdu beaucoup de son volume. Le bouchon a dû être recouvert d’une fine cire, quasiment disparue. Au lieu de pointer un tirebouchon dans le liège je coupe au couteau la partie de bouchon qui dépasse du goulot. Le bouchon qui reste glisse dans le goulot. J’essaie délicatement de piquer ce bout de bouchon, qui glisse et finit pas tomber dans le liquide. Je carafe pour récupérer le bouchon et remettre l’alcool dans son flacon d’origine.
Le parfum de ce rhum est d’une puissance incroyable. On sent le fût et l’alcool. Le liquide est clair. En bouche le premier contact montre que le rhum est un peu éventé, mais rapidement sa richesse apparaît. Il est beaucoup plus sec qu’un rhum habituel, mais il a une énorme personnalité. Quelle présence. Son bouchon embaume à des mètres et des mètres.
Ma femme avait prévu un gâteau au chocolat moelleux. L’accord se trouve facilement du fait du caractère très sec de l’alcool. Boire un alcool de cet âge aussi vivant et profond est un régal.
On se repose l’après-midi, car les agapes recommencent ce soir. En milieu d’après-midi j’ouvre un Château Léoville-Poyferré 1959 au niveau de très haute épaule. Son bouchon vient facilement et le parfum assez discret montre la belle densité de ce vin.
L’apéritif se fera avec un Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en mai 2017, au moment où nous élisions un nouveau Président de la République. Le pschitt est sensible, la couleur est claire et dès la première gorgée, on sent que ça ne va pas, le champagne est acide et trop court. C’est étonnant car jamais ce grand champagne n’est apparu sous un tel jour. Qu’est-il arrivé, nous ne saurons pas.
A table nous goûtons un paleron aux carottes fondant et gourmand. C’est le pommard 1959 qui accompagne le mieux ce plat, mieux que le Beaune-Teurons 1964. Le Château Léoville-Poyferré 1959 a du mal à exister à côté des deux bourgognes, plus flexibles pour accompagner le plat. C’est sur un fromage Selles-sur-Cher que le Saint-Julien va donner toute l’étendue de ses qualités. Il est riche, large et précis, intense avec des notes de mine de crayon. Il fallait vraiment en profiter lorsqu’il est servi seul.
La tarte à la poire, joyeuse et gourmande devait donner la réplique à un Yquem 1989. D’un commun accord nous avons décidé de ne pas l’ouvrir, car nous avions déjà, fort amplement, obéi aux ordres de Bacchus.
En cette journée, la plus belle du printemps jusqu’à présent, nous avons célébré l’amitié avec des vins d’un grand éclectisme.
J’ai eu l’occasion le lendemain de goûter le Château Léoville-Poyferré 1959. Une éclatante transformation l’a rendu d’une richesse exaltante.
les fraises sont délicieuses avec le Veuve Clicquot