On peut faire impressionnant, mais il y a des moments où l’on atteint la limite du possible.
(cette étrange sculpture m’évoque l’instrument de musique inventé par Gaston Lagaffe. J’ai gaffé ?)
Dans l’immense salle du musée d’art contemporain qui s’appelle « Entrepôt », avec une hauteur sous plafond qui avoisine les vingt mètres, imaginez une table en équerre et devant vos yeux, une soixantaine de bouteilles ouvertes de chacun des vins suivants : Cheval Blanc 2001, Haut-Brion 2001, La Mission Haut-Brion 2001, Lafite-Rothschild 2001, Latour 2001, Margaux 2001, Mouton-Rothschild 2001, Pétrus 2001, et, tache de couleur qui tranche avec les autres, Yquem 2001. C’est assez irréel.
Faisons un petit retour en arrière. Il fait très chaud à Bordeaux et je n’ai aucune envie d’affronter Vinexpo. Cette dégustation organisée par la maison Duclot du groupe de Jean-François Moueix, propriétaire de Pétrus, se tient à 17 heures. Dès 13 heures, je suis garé à proximité du musée, car dans cette ville qui n’aime que les tramways, il faut savoir anticiper. Je déjeune dans un restaurant sans intérêt mais dont la patronne sympathique fait de grands efforts pour satisfaire sa clientèle, et je me promène à pied dans la ville aux immeubles de pierre d’une grande beauté, en choisissant les trajets dont les trottoirs sont à l’ombre. Je reviens vers 16 heures et je cherche l’entrée qui n’est pas indiquée. Une dame voyant mon embarras me demande ce que je cherche et m’indique que le musée est fermé aujourd’hui. Je lui explique ce qui m’amène et elle me propose de m’aider à rentrer. Un interphone et on lui ouvre. Etant entré dans la place, je me risque à lui demander ce qui lui permet d’être si facilement reconnue. « Je suis la directrice des musées de Bordeaux » me dit-elle. Entrant dans les murs une heure avant les 1300 invités qui sont attendus, et alors que je remercie cette aimable directrice, deux silhouettes apparaissent, qui me remplissent de joie : Sandrine Garbay, maître de chais d’Yquem accompagnée de Francis Mayeur, directeur technique. La directrice me voyant pris en charge s’efface. Et j’aperçois, dans une armoire réfrigérée, 70 bouteilles d’Yquem 2001 qui seront consommées ce soir. Quel luxe et quel infanticide !
A côté de Sandrine, le maître de chai de Pétrus ouvre et vérifie chaque bouteille de Pétrus 2001.
Une longue table en enfilade est attribuée aux champagnes, et le choix n’est pas mal non plus. Ici les années varient, et je ne suis pas sûr de toutes. Il y a Bollinger, Krug 1995, Amour de Deutz en jéroboam, Laurent-Perrier Grand Siècle en magnum, Dom Ruinart 1996, Dom Pérignon 1999, Cristal Roederer 2000, Comtes de Champagne de Taittinger et Veuve Clicquot Ponsardin. Toutes les bouteilles plantées dans des monticules de glace dans des seaux spectaculaires donnent une image d’opulence et de débauche.
(histoire de seaux, mais aussi histoire de glace)
Une autre table, dans un autre espace de l’entrepôt, est affectée à plus d’une dizaine de portos 2003.
Quelques minutes avant 17 heures une foule compacte commence à envahir le lieu qui va prendre, malgré la hauteur, de nombreux degrés de température. Je suis le premier à être servi de Pétrus 2001, car dans ma jeunesse, j’avais appris qu’il valait mieux tenir que courir. Ce Pétrus a un charme fait de puissance dosée, de cassis et de poivre mesurés eux aussi, avec une sérénité rassurante. Mouton-Rothschild 2001 me sourit par rapport à un essai bien triste fait il y a quelques mois. Tous ces premiers grands crus classés sont spectaculaires. J’ai retenu de ce groupe, sans trop détailler mon avis, que je place en premier Pétrus, suivi de très près, au point que l’on penserait à en faire presque un ex aequo, par La Mission Haut-Brion 2001, qui précèdent un second peloton où l’on verra Latour, Haut-Brion et Lafite-Rothschild. Cheval Blanc que j’adore doit encore attendre avant de se révéler.
Du côté des champagnes, l’ordre est très lié au goût personnel, car chacun a ses préférences. Je mettrais en premier et d’assez loin Krug 1995 suivi par Ruinart 1996 parce que je l’aime bien. Les autres champagnes sont évidemment de la fine fleur de l’élite du champagne.
Tout en goûtant, les discussions vont bon train avec une foule de gens célèbres comme Pierre Lurton, Didier Depond, Olivier Krug, Richard Geoffroy qui fait Dom Pérignon, Charles Chevallier de Lafite, Jean Claude Berrouet qui a fait de nombreux millésimes de Pétrus, accompagné de deux fils dont un actif à Cheval Blanc. Beaucoup d’autres personnalités se pressent aussi aux stands.
La chaleur m’impose de ne goûter que deux portos, le Quinta do Noval 2003 et le Graham’s 2003. Ces jus de raisin expressifs gorgés d’alcool mériteraient d’être goûtés en hiver. Ce sont de purs plaisirs.
Avez-vous remarqué que je ne dis rien sur Yquem 2001 ? L’aurais-je oublié ? Evidemment non et c’est même le vin de ma soirée, Francis Mayeur riant de me voir tant l’aimer. Il faut quitter ce lieu tant il fait chaud, mais j’ai l’esprit léger car j’ai côtoyé des merveilles. Le front se plisse quand on s’aperçoit que Bordeaux a un désamour définitif pour les automobilistes. Comment une telle aberration d’urbanisme est-elle concevable ? Gardons plutôt le souvenir paisible de tous ces vins de légende offerts généreusement.