Les années impaires Vinexpo se tient à Bordeaux et les années paires dans le reste du monde. Le jour, tous les acteurs du monde du vin se pressent dans les allées de l’immense hall où des milliers d’exposants font connaître leurs vins. Le soir est festif, les châteaux bordelais tenant à honorer leurs agents et distributeurs de tous les recoins du vaste monde, des vignerons et journalistes et tous leurs amis. Cette grande fête du vin est démarrée depuis deux jours. Je me limiterai à la partie festive de l’événement, pour rencontrer des personnes que j’apprécie. Pour mon premier soir, c’est la fête au Château Palmer. Un kilomètre avant d’arriver on voit battre aux vents des oriflammes sur le toit du château qui m’évoquent le dessin gravé sur les capsules de Pétrus où un château imaginaire est surmonté de deux énormes drapeaux. Le château restera en dehors de la fête puisque la joyeuse assemblée s’égaye autour des innombrables bâtiments qui forment presque un village. A l’accueil, des hôtesses pointent des listes d’invités interminables et donnent à chacun un canotier dont le bandeau est noir pour les hommes et blanc pour les femmes. L’espace est livré aux saltimbanques. Un couple compose des acrobaties et des équilibres, un jongleur fait voyager une boule de verre sur son corps comme s’il la téléguidait, on peut caillasser des bouteilles avec des boules de pétanque ou des boîtes de conserve avec des boules de feutre.
A l’un de ces petits stands, un homme a disposé des clous sur une grosse poutre et suggère qu’en trois coups d’un lourd marteau on en enfonce un complètement. Le marteau est lourd et difficile à diriger aussi, sur les trois coups que j’assène, aucun n’atteint la tête du clou. L’homme eut une remarque d’un humour merveilleux. Feignant de s’excuser il me dit : « en fait, j’aurais dû mettre mon clou ici », montrant le point où mon marteau s’est écrasé avec une remarquable constance lors des trois tentatives ratées. J’adore cette forme d’humour.
Jésus (prononcez Rézous) planté sur des échasses, me propose d’entrer dans la roulotte d’Emmanuela, qui lit les tarots et prédit l’avenir. J’entre. La gitane ou supposée telle me fait asseoir sur des peaux de bêtes dans un espace aussi chargé que les boutiques pour touristes du Mont-Saint-Michel. Ici, ce sont des serpents en plastique, des évocations indiennes ou fétichistes. La diseuse de bonne aventure m’asperge d’ondes bénéfiques, fait une incantation et me lit les tarots. Pendant qu’elle officie, un décolleté calculé au millimètre près révèle deux demi-mappemondes dont on aimerait lire le cristal pour prédire le présent. Rassuré sur mon avenir qui devrait faire de moi le maître du monde dans une sérénité contrôlée je rejoins le groupe des invités pour bavarder avec le propriétaire de l’Ami Louis. Nos évocations de bonne chère et de bons vins nous donnent l’eau à la bouche. Aux stands, on se régale de pain perdu aux cèpes, de croquettes de pieds de porc, de crépinettes de foie gras à l’échalote confite, de foie gras de canard en toasts et de mille autres petits canapés délicieux. Le Champagne Pol Roger en magnum 1999 se boit avec la facilité des grands champagnes de soif. On y revient ! En revanche, le vin du Château Palmer 2007 qui nous est servi a la brutalité de la jeunesse. Il est dans une phase ingrate où tout est caricatural.
Nous passons à table sous un haut chapiteau de cirque. Je suis assis à côté d’Olivier Decelle et de son épouse, propriétaires de Mas Amiel qui étendent lentement mais sûrement leurs emprises dans le vignoble bordelais. A notre table Eddy Faller du domaine Weinbach, deux français vivant à New York, importateurs et agents de vins, et un concepteur de sites internet pour le vin.
Le menu est ainsi composé : œufs meurettes aux truffes, carbonade de veau, morilles, fonds d’artichaut de Clamart, chèvre frais, pêche blanche au vin, gourmandises foraines et mignardises.
Thomas Duroux s’adresse en un anglais parfait à l’assemblée cosmopolite, suivi de Bernard de Laage de Meux. Les discours sont courts, précis et amicaux. On nous prévient qu’après chaque plat un tirage au sort désignera le gagnant d’un lot. J’indique à ma voisine que je ne gagne jamais à ces tirages de dîners.
L’Alter Ego de Château Palmer 2005 est servi en même temps que le Château Palmer 2005. Les deux vins sont dans leur folle jeunesse. On sent que le Palmer connaîtra un avenir brillant lorsqu’il calmera un peu sa fougue de mustang. L’écart avec le second vin n’est pas aussi grand que ce que je croyais, l’Alter Ego s’en tirant remarquablement bien. Ces deux vins puissants sont délicieux sur le veau très tendre.
Avec une générosité qui mérite d’être signalée, on nous sert en double magnum le Château Palmer 1982. Et ce vin démontre tout l’intérêt du mûrissement du vin. A côté du chien fou, le 1982 montre un message tout en finesse et en délicatesse. C’est Mozart qui succède à Iggy Pop. J’adore ce Palmer à la belle longueur qui combine une subtilité raffinée à une force de persuasion efficace.
Je suis beaucoup moins convaincu par le Condrieu Les Chaillées de l’Enfer domaine Georges Vernay 2007 présenté élégamment par Christine Vernay, car ce vin qui eût été beau sur le veau est inadapté au fromage de chèvre léché de miel. Il se forme un désagréable perlant créé par le fromage, donnant l’impression qu’un comprimé effervescent est posé sur la langue. On revient donc au Palmer 1982 qui charme la fin du repas. Sur les tickets remis à l’entrée pour la tombola, Olivier Decelle a le numéro 68 et j’ai le numéro 69. Le truculent chef italien qui procède au tirage inscrit sur le tableau à la craie : 68. Olivier est attentif. Puis le chef écrit « +1 ». J’ai gagné ! Et pas n’importe quoi : un magnum de Château Palmer 2005. Dans la foule j’entends un brouhaha de certains amis qui disent : « c’est injuste, pourquoi lui, il a déjà tant de vins ». Je m’agrippe à mon lot. Ça fait tellement de bien de gagner pour une fois.
Parmi les convives je salue notamment Didier Depond, président de Salon, grâce auquel je suis ici et Etienne Hugel avec lequel nous évoquons en grande émotion la mémoire du précieux Jean Frédéric Hugel.
Remerciant Thomas Duroux, je lui dis que mon intention est de parader aux autres dîners de la semaine avec « mon » magnum en disant aux vignerons qui nous reçoivent : « vous voyez, chez Palmer, on reçoit comme il faut. Car chaque invité a reçu un magnum de 2005 ». Je ne pense pas que pousserai plus loin ce projet taquin.
La fête à Palmer, dans une ambiance chaleureuse et amicale, fut particulièrement réussie.
les deux plats
Le Condrieu