D’abord des sensations fortes racontées comme je les ai éprouvées en goûtant ensemble deux vins opposés. Faut-il de ce fait participer à la polémique sur l’évolution du goût du vin ? Ne produisant pas de vin, ne commercialisant pas de vins, je n’ai pas de thèse à défendre.
Chaque vigneron fait ce qu’il croit bon et le marché tranche. Me trouvant parfois immergé au sein de débats sur l’évolution du vin, je verse ce petit exemple que j’ai outré à plaisir comme un chef épice un plat pour exciter le goût. Je ne partirai pas en croisade, à chacun son domaine. Le mien est celui des vins anciens dont je me fais volontiers le chantre, et celui de la haute gastronomie que j’admire et soutiens. De très grands noms du vin se battent pour la préservation de l’authenticité et pour que la technique soit au service du terroir et pas l’inverse. Le combat se gagne plus dans le verre que sur le papier. Après ces longs prolégomènes,j’ajoute mon historiette.
Lors d’un dîner fort simple mais fort bon, on commence par un Chablis Grenouilles la Chablisienne 1996. C’est bon et c’est goulu, mais c’est plus premier cru que grand cru. Il manque une petite folie à ce vin bien fait. Puis on me fait découvrir à l’aveugle Almaviva Baron Ph. de Rothschild 1998. Ça démarre comme un bourguignon qui aurait du nerf, avec un zeste de Roussillon. On ne peut pas dire que ce n’est pas plaisant, mais pour moi, cela tient de l’infusion de copeaux. Puis arrive le révélateur : un Cornas Robert Michel 1982 (Grand vin des Cotes du Rhône) servi quasi simultanément. Pour le collectionneur que je suis, je ne mourrai pas si je rate un Cornas, et je ne vis pas enchaîné aux grilles de la propriété de Robert Michel pour être sûr d’avoir mon quota annuel. Mais la révélation était là : c’était du vin !! L’Almaviva, c’est une montagne de technologie, c’est la déforestation de toute l’Amérique du Sud, mais, excusez ce propos assassin, c’est de la tendance, ce n’est pas du vin. Et au nez, aux lèvres, ce Cornas de 20 ans avait tout d’un vin de bonheur, il iodlait dans la bouche, quand l’Almaviva nous soûlait de copeaux. J’ai donc compris la fureur d’Aimé Guibert de Daumas Gassac, j’ai compris la véhémence des vignerons de terroir, mais j’ai aussi entrevu par l’exemple tout ce qui passionne ces belles querelles. Il vaut mieux du terroir que de la technologie. Et même si l’on a le terroir, il faut modérer la technologie. Mais je ne veux pas aller plus loin, car il y a mille experts plus compétents pour dire quelle est la voie.