La maison de champagne Louis Roederer reçoit quelques clients importants et m’a incorporé à ce groupe. Ayant mal lu la lettre d’invitation, c’est avec plus d’une heure de retard que je me joins à eux. D’aimables hôtesses m’aident à retrouver mon groupe de visite avec une gentillesse évidente.
La visite des caves est terminée mais j’ai le temps de voir les chaînes d’embouteillages du Brut Premier. Jean-Baptiste Lécaillon, DGA et chef de caves nous propose de faire une mini-verticale de vins tranquilles qui proviennent des parcelles du Cristal Roederer. Ces vins vieillissent en foudres et serviront soit au Cristal, soit à enrichir le Brut Premier, car il sont une sorte de bibliothèque du Cristal.
Le Vin tranquille Cristal Roederer 2012 nous est apporté dans une bouteille, car il est prélevé non pas dans une cuve bois mais dans une cuve inox. Ce vin est à 60 % pinot noir et 40% chardonnay. Il a un nez de miel et évoque aussi le pamplemousse. Il est très vert, très citron vert et offre beaucoup de matière. Le final est celui d’un bonbon acidulé. Il est caractérisé par son acidité et son fruit vert. Jean-Baptiste Lécaillon est très fier de son 2012.
Le Vin tranquille Cristal Roederer 2011, comme les suivants, est prélevé d’un fût bois. Il est plus buvable, un peu laiteux, évoquant la crème de lait. Il a une belle acidité et une belle matière. Ce qui me frappe, c’est la continuité entre les deux vins, même si leurs personnalités sont distinctes.
Le Vin tranquille Cristal Roederer 2009 est d’une belle acidité, avec cette même continuité. Il est toujours bonbon acidulé, mais il est plus vineux. Il est plus massif, un peu fermé et ne demande qu’à s’ouvrir.
Le Vin tranquille Cristal Roederer 2008 a beaucoup moins d’acidité. Il est plus fruité. Il a une belle longueur. Je le trouve très beau. Il est droit et précis.
Le Vin tranquille Cristal Roederer 2007 a un nez qui m’évoque la liqueur de framboise que l’on retrouve dans les bourgognes anciens. C’est le premier qui soit très paisible. Il est raffiné. Il évoque les fruits rouges et le végétal. Il est élégant et plaisant.
Le Vin tranquille Cristal Roederer 2006 est plus massif, plus solide mais aussi plus passe-partout. Son côté rassurant bride l’émotion.
Le Vin tranquille Cristal Roederer 2005 est élégant et raffiné. Il est magnifique. J’adore son fruit doré très joli. Lorsque je dis que son final évoque le roudoudou que l’on lèche, beaucoup ne connaissent pas ce coquillage empli d’une pâte de fruit solide comme celle d’une sucette. Seule, la jolie hôtesse qui nous guide est confondue par la pertinence de cette comparaison, car ce 2005 « est » vraiment roudoudou ! Nous en rions tous.
Le Vin tranquille Cristal Roederer 2002 est solide, carré, accompli. C’est un très grand vin. Je sens la noisette. Il est très frais, long, superbe.
Le Vin tranquille Cristal Roederer 2000 a une belle acidité. Je ressens l’ananas et les fruits exotiques. Le final est un peu court, mais c’est un vin charmant, car il « cause ».
Cette dégustation des vins tranquilles qui seront utilisés pour garder la mémoire du goût du Cristal, pour faire les futurs Cristal et pour enrichir des Louis Roederer est extrêmement intéressante, car nous suivons l’évolution de l’âme de Cristal Roederer.
Nous nous rendons dans la demeure de Frédéric Rouzaud pour déjeuner avec lui. Cette demeure date des années 1860 et Frédéric y a vécu dès l’âge de trois mois. Les souvenirs familiaux abondent, puisque Frédéric est de la sixième génération de cette maison familiale. La décoration est très bourgeoise raffinée du milieu du 19ème siècle. Il n’y a aucune faute de goût.
Dans le beau salon, nous goûtons le Champagne Louis Roederer Brut Premier magnum dégorgé en 2006. La dégustation des vins tranquilles assez austères a préparé notre palais au charme de ce vin. Il s’étale voluptueusement dans notre bouche. Il est très plaisant à boire, de belle maturité.
Nous passons à table et Frédéric Rouzaud avait prévu que nous ferions un piquenique informel dans le jardin. Mais le ciel ne l’avait pas prévu. Des brochettes de crevettes et coquilles Saint-Jacques accompagnent un Clos Mireille domaine d’Ott 2011. Ce vin a un nez très vert. C’est un bambin qui est mis en valeur par les champagnes qui précèdent. Il a une belle tension et une minéralité sensible.
Le Château de Pez 2000 est très tannique. Il a le côté carré des vins de 2000. S’il est plaisant, s’il remplit bien la bouche, il manque quand même un peu de complexité. Il est très probable qu’il l’obtiendra avec quelques années de plus.
Frédéric Rouzaud voulait que nous prenions le dessert avec un porto d’une des propriétés de son groupe, mais contre tout savoir-vivre j’ai suggéré que nous revenions au champagne pour ne pas handicaper la suite de notre programme. Et j’ai bien fait d’être impertinent, car le Champagne Louis Roederer rosé 2007 à la couleur élégante de rose pâle est agréable et délicat et accompagne le dessert avec une pertinence absolue.
Après ce déjeuner qui se voulait sur l’herbe mais fut indoor, nous avons visité un pressoir et des vignes pour mieux connaître la recherche d’excellence de la maison Roederer dans les moindres détails. Rejoignant notre hôtel, je suis tombé dans les bras de Morphée car un grand dîner nous attend.
Le dîner se tient au même endroit que le déjeuner et c’est Jean-Baptiste Lécaillon qui nous reçoit.
L’apéritif se construit autour du Champagne Cristal Roederer magnum 2002 qui a une belle matière et un final un peu court. Le vin me semble un peu épais et on sent qu’il appelle des mets. Il est peut-être dans une phase ingrate.
Nous passons à table. Le Champagne Cristal Roederer 1996 est géant. Ça, c’est du champagne. Il a une fraîcheur et une jeunesse extrêmes et ce qui me frappe, c’est sa vivacité. Comme la bouteille s’assèche très vite, le deuxième Champagne Cristal Roederer 1996 est l’opposé du premier. Il est plus consensuel, plus assis, moins tendu. Bien évidemment, c’est le premier que je préfère du fait de sa vivacité. Mais comme le dit à juste titre Jean-Baptiste, c’est probablement le second qui est le plus gastronomique. Le homard dont la chair est délicieuse est un peu assoupi par une purée qui eût gagné à être dissociée du crustacé. Le risotto du chef est diabolique pour mettre en valeur les vins.
Le Champagne Cristal Roederer 1993 est la délicatesse incarnée. Sur un veau aux morilles il crée un accord d’une sensibilité à se pâmer. C’est un accord de première grandeur et le champagne dans cette fragilité superbe est d’un charme infini.
Le Champagne Cristal Roederer 1995 entraîne ce commentaire d’un des convives : « ça sent le printemps » et Jean-Baptiste adore ce compliment. C’est un champagne superbe, avec beaucoup de fruits blancs et de fleurs. Il est assez vineux. A côté de lui, le 1993 est plus calme.
Le Champagne Cristal Roederer rosé 1995 a une couleur d’un rose tellement pâle qu’on douterait qu’il s’agisse d’un rosé. Et le doute continue en bouche puisqu’il est plus champagne que champagne rosé. C’est un vin fascinant qui est magique, insaisissable et intemporel.
Si je devais classer les vins de ce dîner, ce serait le 1995 rosé, le 1993, le 1995 et le 1996. C’est donc un classement qui ne correspond pas à la hiérarchie des millésimes. Mais Cristal Roederer a tant de ressources qu’il aime brouiller les pistes.
Nous avons bénéficié d’un accueil remarquable et généreux. Après une journée aussi riche, Cristal Roederer garde pour moi encore beaucoup de mystères. Il va falloir que je revienne, pour en savoir un peu plus sur ce champagne diablement attachant.
embouteillage et muselets
piquenique
la vigne
le dîner
couverts en vermeil, quel plaisir !