Albéric Bichot et son adjoint Michel Crestanello me reçoivent au siège de la maison Albert Bichot à Beaune. Michel brosse un historique succinct de cette maison multiséculaire et nous allons au domicile du grand-père d’Albéric, le long du boulevard circulaire de Beaune, pour ouvrir deux vins rouges prévus pour le déjeuner afin qu’ils profitent de l’oxygénation lente. Le Richebourg 1966 a un bouchon noirci sur sa partie supérieure mais magnifiquement sain sur les trois quarts de sa hauteur. Son parfum fruité est prometteur. Le vin sans étiquette dont je demande à Michel de me taire le nom a un bouchon assez irréel. Sur près d’un centimètre de profondeur, je creuse avec la pointe de mon Laguiole une terre charbonneuse, toute noire qui part en poussière ou en caillots. Je pique ensuite avec la mèche longue le reste du bouchon qui monte, lentement, extrêmement noir d’ébène et gras sur son pourtour. Ce que je tire, c’est de la charpie, s’émiettant et résistant à ma traction. C’est presque un miracle qu’aucune miette ne soit tombée dans le vin. L’odeur est très prometteuse.
Heureux des promesses des deux vins, nous allons visiter l’un des sites, celui de Pommard, avec une jolie vigne qui est un monopole, le Clos des Ursulines. Nous nous rendons ensuite à la cave Saint-Nicolas où la plus ancienne cave voûtée est dédiée aux dégustations. Visiter un domaine sans boire des vins récents, ça ne se conçoit pas.
Le Monthelie Château de Dracy Albert Bichot 2009 a un très beau nez fruité et une amertume sympathique. En bouche, il est gouleyant, généreux, doté d’un joli poivre. Très agréable et franc, il a une belle persistance aromatique. J’aime ce vin simple mais généreux.
Le Pommard Clos des Ursulines Domaine du Pavillon Albert Bichot 2009 a un nez plus discret. Il a plus de race, plus de matière. Il est plus tendu, au final bien rêche. C’est un joli vin très bourguignon.
L’Aloxe-Corton Clos des Maréchaudes Domaine du Pavillon Albert Bichot 2009 a un nez élégant. On y sent beaucoup de fruit. Le message est très direct et le vin est plus gourmand. Il y a des notes de tabac. Le vin est très agréable et de beau caractère. Le tabac domine.
Le Vosne-Romanée Les Malconsorts Domaine du Clos Frantin Albert Bichot 2009 a un nez un peu gibier. La bouche est superbe, ample. C’est un vin qui glisse tout seul tant il est bon. D’une belle élégance, c’est le plus grand des vins, d’une rare gourmandise. Ce qu’il faut signaler c’est que les rouges de 2009 en février 2012 se boivent superbement, avec une générosité rare.
Le Bourgogne Chardonnay Secret de famille Albert Bichot 2010 a un nez difficile à saisir car le vin est froid. J’avoue que j’ai du mal à aimer ce vin trop simple qui ne me donne aucune émotion, même si tout indique que le travail a été bien fait.
Le Meursault Les Charmes Domaine du Pavillon Albert Bichot 2009 a aussi un parfum estompé par le froid. Il a beaucoup de fruit. C’est un vin généreux et floral, au final assez strict. Le vin se boit bien. Il est vivant, avec une évocation de noix.
Le Beaune Clos des Mouches Domaine du Pavillon Albert Bichot 2009 a un nez très délicat et un peu amer. A la première impression, il ne semble pas très structuré mais son joli final est élégant, riche et complexe. D’une belle minéralité, il se montre en définitive riche et beau.
Le Corton Charlemagne Domaine du Pavillon Albert Bichot 2009, même si le bout de son nez est froid, indique un vin puissant et riche. La bouche est élégante, fine et complexe, mais beaucoup trop jeune. Sa fraîcheur vive signe un grand vin, mais beaucoup trop jeune. Manifestement, les blancs se sont bus beaucoup moins bien que les rouges.
Nous nous rendons de nouveau à la maison du grand-père, où Catherine a mitonné un repas sympathique. Le grand-père collectionnait les faïences et les taste-vins, et tout au salon où à la salle-à-manger est d’une décoration raffinée. Albéric nous rejoint pour un embryon d’apéritif avec un Crémant brut rosé Albert Bichot sans année. S’il n’a pas inventé la poudre, il a au moins le mérite de ne pas être déplaisant. Plus d’un se ferait piéger en dégustation à l’aveugle.
Nous passons à table. Sur une délicieuse tarte au saumon fumé d’une recette des grands-parents d’Albéric, nous allons goûter un Chablis Grand cru Moutonne Domaine Long-Dépaquit 2002. Mais avant de le faire, je sors de ma musette un Château Chalon Joseph Tissot 1942. Je l’ouvre à table, au risque de salir la belle nappe blanche, mais Catherine apporte une opportune serviette, car le bouchon brisé en deux risquait de faire des siennes, et je propose que nous buvions le chablis, puis le vin jaune, puis de nouveau le chablis, pour voir l’effet du vin du Jura sur le bourguignon.
Le chablis, que l’on sent grand est assez coincé, comme s’il avait serré d’un cran de trop sa ceinture. Le vin jaune d’une très grande année est impérial. C’est un atlante peint par Rubens. Il est chatoyant, coloré, à l’alcool fort. Et le chablis bu ensuite prend une ampleur, une dimension et une profondeur inimaginables. Albéric n’en revient pas. Le Château Chalon est un multiplicateur du chablis. La cohabitation des deux vins est confondante de plaisir.
C’est maintenant l’heure des rouges. Nous commençons par un Corton Grand Cru Clos des Maréchaudes Domaine du Pavillon Albert Bichot 2006 au fruité doucereux et chaleureux assez surprenant. Plus charmeur, je ne vois pas.
Le Richebourg Albert Bichot 1966 a une couleur foncée au-delà de ce qu’il devrait. La première gorgée est sympathique même si le final fait très porto. Et puis le vin s’évanouit, à une vitesse surprenante. Alors que je n’ai quasiment jamais de vins qui trépassent à la suite d’une ouverture précoce, il faut que ce soit chez un vigneron qu’un tel incident se produise ! Quel impair.
A côté de lui, le vin que Michel m’avait annoncé plus âgé est d’une couleur d’un rubis birman. Un bonheur. Son nez est très bourguignon. En bouche, s’il est bourguignon, il a la confiture de framboise d’une grand raffinement. Quel grand vin. Il justifie pleinement mon amour des vins anciens. Je me risque à deviner l’année. Ma première idée est 1929, mais 1915 n’est pas exclu même si je ne crois pas que la bouteille puisse être de 1915. Albéric me dit que je ne suis pas tombé trop loin, car c’est un Pommard Rugiens Albert Bichot 1923. Ce vin est absolument splendide, de rondeur cardinalice. Par curiosité, j’ai bu un peu du 2006 pour voir quelle réaction se crée entre les deux. Le 2006, tout dans le fruit, ne fait pas d’ombre au 1923, éblouissant de cohérence.
La viande avec son gratin de pomme de terre est un aimable faire-valoir du 1923, alors que l’endive appelle le Château-Chalon.
La maison Bichot a toutes les qualités des maisons familiales à taille humaine. Les vins jeunes sont convaincants, le 1923 est magistral, et la chaleur de l’accueil est amicale. C’est une belle journée bourguignonne.
photos – à l’entrée, un arbre généalogique de la famille Bichot sur plus de 600 ans
je suis heureux d’ouvrir les deux bouteilles prévues pour le déjeuner
le bouchon du 1926 est quasiment explosé !
les jolies caves
mes yeux sont naturellement attirées vers cela !
la jolie salle à manger