Quand on programme des visites, on veut trop en faire. Nous arrivons au château Rollan de By avec un extrême retard. Jean Guyon arbore un sourire naturellement accueillant malgré cet écart. Nous visitons ses chais à toute vitesse car il suffit à Jean de quelques mots pour synthétiser ce que l’on doit savoir, quand d’autres domaines jouent la montre en décrivant des détails qui sont particulièrement loin des préoccupations de l’amateur. La dégustation de ses jeunes vins est assez bluffante. Bien sûr il n’y a pas la complexité de certains vins, mais c’est franchement bon. Ici ou là on verra du modernisme. Je l’ai trouvé suffisamment intelligent pour ne pas tomber dans l’excès. Il y a du beau travail qui est fait. Le dynamisme entrepreneurial de Jean Guyon se voit dans chacun de ses mots. On peut imaginer que cela indispose certains. Force est de constater qu’il bouge dans le bon sens. Cette liberté de ton, cette décontraction se verront au dîner à son domicile, car il nous a traités en amis, comme le fit Corinne Mentzelopoulos à Margaux et Jean Jacques Bonnie à Malartic Lagravière. Si mes amis américains s’imaginent que c’est toujours comme ça, leurs prochaines tentatives montreront comme ils furent gâtés pendant cette semaine inoubliable.
Dans les chais nous avons bu : château Tour Séran 2002 fort plaisant pour un vin d’entrée de gamme, château La Clare 2002, château Rollan de By 2002 et château Haut-Condissas 2002. Faciles en bouche, de complexités croissantes, fort agréables. A table au château, après un champagne Ayala 1996, le château Rollan de By 1993 en double magnum montre une séduction particulièrement remarquable pour un vin de cette année. C’est intelligent et plaisant. Le Haut Condissas 1997, lui aussi en double magnum est brillant. Un nez de grand vin, une élégance particulière. Jean Guyon réussit là une belle démonstration de la valeur de ses vins. Il nous avait autorisés à apporter nos propres vins, ce que nous fîmes. Il convient de remarquer que Jean Guyon avait annoncé que contrairement à moi il n’aimait que les vins jeunes. Quand il but à l’aveugle un délicieux Ducru-Beaucaillou 1959 (qu’il reconnut, bravo) et un château Pavie 1964 d’une rare perfection et quand il s’enticha de ces deux vins, j’ai douté de ses pétitions de principe contre les vins anciens.
Nous faisons l’expérience d’un Penfold BIN 389 Cabernet Shiraz australien 1998 qui titre 14,5°. Etrange jus de cassis aux notes mentholées que certains appellent du vin. J’offre à mes compagnons de voyage une Commandaria de Chypre 1909 au nez exquis, au lien de parenté très fort avec les Chypre 1845 dont j’ai de nombreux exemplaires. C’est un vin que j’adore, fait de saveurs doucereuses évoquant les pruneaux et les coings. La trace en bouche est infinie. Mes amis n’ayant pas de repère furent un peu désemparés. Nous fîmes une comparaison avec un Maury Mas Amiel 1985. Il est amusant de constater les points communs entre les deux vins, le Chypre brillant par sa longueur immense et sa complexité. Ayant débouché la bouteille, j’avais encore le lendemain la trace de ce parfum sur mes mains, comme cela m’arrive avec les plus vieux Chypre. Les notes de réglisse abondent.
Jean Guyon nous a traités en amis, car c’est son caractère.