Je me rends à Saint-Estèphe au siège de Cos d’Estournel où je suis attendu par Carole Valette, directrice de la « Chartreuse » ensemble hôtelier de luxe qui jouxte le château connu du monde entier pour ses pagodes et ses décorations indiennes. Dimitri Augenblick, le gendre de Michel Reybier qui est propriétaire de Cos d’Estournel depuis 2000, m’accueille avec Carole. On me montre ma chambre d’un grand confort, car Michel Reybier possède de nombreux hôtels de très grand luxe et la Chartreuse s’aligne sur ce niveau : les chambres ont été conçues par Jacques Garcia. Je dépose la bouteille que j’ai prévu d’insérer dans le dîner que nous partagerons et Dimitri me fait visiter les installations de Cos qui ont été rénovées en 2006 sur les suggestions de Jean-Guillaume Prats qui dirigeait alors le domaine, et avec les créations de trois architectes, dont Jean-Michel Wilmotte et Jacques Garcia. C’est grandiose, avec les évocations de l’Inde qui est le fil rouge du domaine. Dimitri me conduit vers une cave psychédélique. La hauteur des étagères doit bien atteindre dix mètres et les rayonnages sont supportés par des éléphants de pierre, comme ceux qui abondent en divers endroits de la propriété. Je découvre des millésimes qui font rêver, dont plus d’une vingtaine d’avant 1920. Je reste en arrêt devant cette cave hors du commun. Dans un immense hall d’entrée qui peut accueillir des centaines de personnes, face aux splendides chais, Dimitri a fait disposer des verres pour que nous dégustions quelques vins.
Les Pagodes de Cos 2011 est fait de 65% de merlot. Son nez est celui d’un vin souple. La bouche est agréable. Le vin est enveloppant, pas très long mais gourmand. C’est un vin agréable. Le vin n’a pas beaucoup de complexité mais il se boit bien.
Le Cos d’Estournel 2008 est du premier millésime qui a été réalisé dans les nouveaux chais. Il a 85% de cabernet sauvignon, ce qui est le plus gros pourcentage historique de ce cépage dans Cos. Le nez est élégant, très jeune. La bouche est encore très jeune, le fruit est clair avec une belle acidité. Le vin titre 13,5°. Le final n’est pas encore formé. Le vin est crayeux, dit Dimitri. Il est astringent mais élégant.
Le Cos d’Estournel 2003 a un nez plus ouvert et généreux. La bouche est très fraîche. Le vin est fluide, presque léger. Le final est très frais, proche de celui du 2008 pour l’astringence. Il y a 70% de cabernet sauvignon, 27% de merlot, 2 % de petit-verdot et 1% de cabernet franc. Le vin est très agréable à boire et s’annonce gastronomique. Il a une belle acidité, une grande fraîcheur et une astringence qui en fait un vin serré. Il a une belle trame et une belle puissance.
Le Cos d’Estournel blanc 2011 est une nouveauté puisqu’il existe seulement depuis 2005. Il a 30% de sémillon et 70% de sauvignon blanc. Le nez très présent évoque le litchi et les fleurs blanches. La bouche agréable et douce évoque les fruits blancs mais aussi le lait. Ce vin très jeune, frais avec une acidité marquée dans le final, avec des fruits confits suggérés semble gastronomique. L’essai se justifie. Il faudra voir comment il évolue.
Nous retournons à la Chartreuse pour le dîner prévu pour Carole, Dimitri et moi. Dimitri Augenblick me propose d’aller dans la cave de la Chartreuse pour choisir les vins du dîner. La cave est magnifiquement agencée et comporte une belle collection de nombreux millésimes de Cos, sans les plus anciens qui sont rangés dans la caverne d’Ali Baba spectaculaire créée par Jacques Garcia.
A ma grande surprise, Dimitri me dit : « vous choisissez ce que vous voulez pour le repas ». C’est toujours embarrassant d’être dans cette situation. Je choisis deux millésimes, 1989 et 1955. La bouteille de 1955 a ceci de particulier qu’elle provient de la cave Nicolas. Elle n’a donc pas été stockée pendant toute sa vie au château. Dimitri décide d’ajouter à ce choix 1988 car il aimerait comparer les deux millésimes voisins.
Nous remontons dans l’immense salon de réception ou les allusions indiennes sont nombreuses. Il y a une collection impressionnante de faïences de Vieux Bordeaux, dans l’esprit des faïences de Longwy, puisque l’artiste s’était formé dans cette ville. Nous trinquons sur un Champagne Michel Reybier, du nom du propriétaire de Cos d’Estournel qui a investi dans une propriété champenoise. Le champagne contient les trois cépages dans des proportions que je n’ai pas notées. Il est assez doux, agréable, pas franchement complexe mais il a suffisamment de coffre pour être plaisant. Il est à noter que la bouteille porte à côté du nom de Michel Reybier un éléphant qui évoque évidemment Cos d’Estournel.
Le menu conçu par le chef de la Chartreuse est : saumon fumé et caviar d’Aquitaine, petits blinis maison / canard à l’orange / sabayon de fruits d’automne. Le menu a été composé sans savoir ce que nous boirions, aussi est-il un agréable accompagnement sans recherche d’accord. Ce sera surtout vrai pour l’entrée puisqu’il n’y aura pas de blanc et pour le dessert puisque mon vin n’était pas connu.
Dès le premier contact au nez ou en bouche, le Cos d’Estournel 1989 est miraculeux. Il est d’une rare élégance et éblouissant. Il a tout pour lui, puissance et charme. Tout est dosé, équilibré, vif et convaincant.
Le Cos d’Estournel 1988 est musclé, fort, brut de forge comme son millésime et ne montre pas de charme puisque ce n’est pas pour cela qu’il a été construit.
Le Cos d’Estournel 2003 de la bouteille remontée de la salle de dégustation a du charme, des épices et du fenouil. Je l’aime beaucoup.
Le Cos d’Estournel 2008 bu avant le repas continue d’être un bon vin mais sa jeunesse le rend beaucoup moins excitant que ses aînés.
Le Cos d’Estournel 1955 est un vin plutôt plat, manquant d’énergie. Alors que 1955 est une grande année, le vin de cette bouteille manque son rendez-vous. Sa matière est belle, ses caractéristiques sont convenables, mais dès qu’il manque la petite étincelle, le plaisir n’est plus là. Le parcours de cette bouteille venant des caves Nicolas explique sans doute qu’il ait été éteint.
Pendant ce temps, le 1989 plait à mon cœur et le 1988 se dénoue, se réveille et montre de grandes qualités au point qu’à un moment, je lui trouve plus de présence qu’au 1989. Mais finalement, c’est quand même la fraîcheur et la grâce du 1989 qui remportent mes faveurs.
C’est par hasard que j’ai choisi le vin qui va suivre dans ma cave. Seule sur une étagère, elle attire mon œil car elle a une forme proche de la forme bourguignonne mais plus large de diamètre. De plus le cylindre n’est pas très droit, un peu bombé et le cul profond est celui d’un flacon centenaire. J’aime les bouteilles très anciennes et je prends en main la bouteille dont l’étiquette est jolie. Sur l’étiquette on lit « 191 » et il y a un trou à l’endroit du quatrième chiffre. C’est en ouvrant la bouteille que j’ai pu lire l’année sur le bouchon.
Le Bonnezeaux Clos de la Montagne Coteaux du Layon Compagnie des Grands Vins d’Anjou à Angers 1919 avait à l’ouverture un nez suave et prometteur. Il est maintenant de folle complexité. En bouche le vin est excitant, magique, de pruneau. Dimitri lui trouve un léger goût de métal mouillé que je n’aurais pas remarqué. Le vin est jeune, évoque la noisette et le pruneau. La bouche est fraîche. Je me régale. Il ne faut pas l’associer au dessert qui le rétrécit, aussi buvons-nous le vin après avoir mangé le délicieux sabayon.
Pendant le dîner nous avons évoqué les projets communs que nous pourrions envisager. Dans ce groupe dynamique il y a tellement de recherche d’excellence, comme à Smith Haut-Lafite, que les cerveaux peuvent phosphorer. Une douce nuit me repose d’une longue journée. Un bain dans la piscine de la Chartreuse est un heureux réveil suivi par un petit-déjeuner préparé avec beaucoup d’attentions charmantes.
Des deux visites à Smith Haut-Lafitte et à Cos d’Estournel, je retiens que dans les deux cas, des entrepreneurs fortunés ont pris goût au vin qu’ils ont acheté, investissent pour la qualité, sans compter, en visant l’excellence. Ayant vu que pour les deux vins il y a l’obsession du grain parfait, je me suis posé la question suivante : « le vin n’est-il pas meilleur si les grains ne sont pas tous parfaits ? ». Les grands vins anciens n’avaient pas la possibilité de faire des tris aussi sélectifs et cela ne les a pas empêché de faire des miracles. Un dicton populaire dit : « le mieux est l’ennemi du bien ». C’est la question qui me vient à l’esprit car le grand vin se nourrit probablement aussi – c’est mon intuition – de ses petites imperfections.
J’ai été frappé du dynamisme et de la volonté de ces deux grands châteaux. Ces deux visites sont très enrichissantes.
la cave des vins anciens
la dégustation
la cave de vins de la Chartreuse
la Chartreuse
les vins du dîner
Cos d’Estournel le matin, avec mon appareil photos qui a le blues !
mon petit déjeuner m’attend