Un ami sommelier, immense expert en champagne m’a ciselé une journée de dégustation. Cela débute à Cramant, chez Diebolt-Vallois, où nous sommes reçus par le propriétaire. Tout ici sent le travail soutenu d’une maison familiale où rien ne sera fait pour essayer de séduire. Mais on sent le sens esthétique, le propriétaire étant fort féru d’art. Dans la cave discrète un ascenseur monte charge nous descend comme à la mine à un niveau où l’on prélève quelques flacons qui font déjà rêver. Au niveau encore inférieur la pioche paraît irréaliste de rareté. Au dernier sous-sol, en une cave voûtée, nous allons boire des merveilles. La cave est à 9°, ce qui est assez frais, et l’usage veut que l’on crache ce que l’on a bu sur la craie des murs. Ce rite n’a créé aucune odeur ni moisissure, signe que la craie digère bien.
Jacques Diebolt ouvre les blancs de blancs. Le 1995 est très jeune. Il sent la mirabelle. Son final est très beau. Ce vin vieillira bien Le 1988 a un nez incroyable de miel. La bulle est forte, les fruits sont jaunes. Le final est brillant. Il s’agit d’un grand champagne. Le 1982 a une couleur d’or pur et un nez de noix. La petite amertume initiale disparaît à l’aération. Il y a des fleurs blanches et des fruits jaunes. C’est un vrai vin. Le 1976 a un nez de morille. L’attaque est franche et belle. On sent le cuir, la raideur, l’acidité. Si le nez est moins beau, c’est surtout un champagne très franc, d’une invraisemblable jeunesse, d’une pureté incroyable.
Vient ensuite un non millésimé, mis en cave en 1983 au nez de pain d’épices, flatteur, très demi-sec, un peu court, un vin fait pour la table. Le 1979 a un nez coincé. En bouche, c’est somptueux. Le miel, la réglisse le poussent à fond. La fin est un peu courte. Un goût de revenez-y appelle un 1982 qui confirme son élégance.
Les vins qui suivent seront dégorgés sur place. Une opportune clé anglaise extirpe le bouchon, la main du vigneron gérant la trajectoire qui libérera la lie à éliminer. Le 1973 est un vin éblouissant. C’est un vin purement prodigieux, qui montre une évolution absolument parfaite. La persistance en bouche est grandiose.
Il fallut plusieurs 1961 pour en trouver un magistral. Vin ensoleillé, très beau, qui, contrairement au 1973 très rectiligne, explore des directions nombreuses de goûts qu’il veut nous suggérer. On est en présence d’un grand champagne. Sauvage, de séduction folle. De quoi se pâmer.
Une bonne version de 1953 a un nez de fleur blanche et des saveurs anisées. C’est de loin le plus noble de tous les champagnes étudiés. L’ordre s’il s’agit de noblesse est 53 / 61 / 73. Si l’on juge l’épanouissement, la plénitude, l’ordre devient 73 / 53 / 61. Cette série de champagnes est un honneur immense qui nous fut fait. L’escapade champenoise se continue au prochain numéro.