Dom Pérignon organise un dîner surprise aux Crayères à Reims. Que faire pendant la journée ? J’appelle Richard Geoffroy, le chef de cave de Dom Pérignon, pour que nous déjeunions ensemble. L’affaire semble engagée, mais il est pris au dernier moment. J’aurais aimé que nous allions ensemble rencontrer Anselme Selosse. J’irai donc seul.
Vers 11 heures, je rejoins un petit groupe de visite formé d’un couple d’amis d’Anselme Selosse et Corinne, d’une journaliste française et d’un journaliste allemand. Ils ont déjà visité les chais et nous faisons une visite sommaire de l’hôtel « Les Avisés » que j’avais vu en travaux et qui est maintenant décoré avec un goût exquis. La demeure respire la convivialité, voire l’esprit familial. Les couleurs sans agressivité invitent au partage et à l’éveil des sens. Dans le salon très cosy, Anselme dirige notre dégustation.
Nous commençons par le Champagne Jacques Selosse Initial dégorgé le 23 décembre 2010, fait de vins de 2004, 2003 et 2002. L’attaque est très douce. Le vin est doucereux, à la bulle confortable. Il y a un beau fruit citronné et doré et un final très frais. Il me plait par son caractère très doux, qui ne veut rien imposer. Léger, aérien, fluide, il est fait d’écorces de citron confit et de fruit confit. Dans le final, on voit apparaitre de la craie et de la coquille d’huître. Anselme nous dit qu’il est plus dosé que celui qui est fait des vins de 2003, 2002 et 2001. Il est issu de parcelles de bas de coteaux, qui ont plus d’argile.
Anselme a créé les « Lieux Dits », vins qui sont de six parcelles différentes, de six communes différentes. Il veut faire six champagnes différents, pour montrer l’expression de chaque parcelle. Sa démarche est proche de celle des « Clos », qui font des vins d’une seule parcelle. Tous les vins s’appellent « Lieux-Dits », et la liste des six parcelles est inscrite sur toutes les étiquettes, et ce qui les différencie, c’est le nom de la parcelle du vin qui est inscrit en gras et coloré.
Nous goûtons le Champagne Jacques Selosse Lieux Dits Les Carelles de Mesnil-sur-Oger dégorgé en janvier 2010. Le principe sera pour ces vins d’être une solera, mais comme on démarre, c’est une solera réduite aux vins de 2004 et 2003. Le vin est d’un bel or, avec peu de bulles. Il est très fruits bruns avec une amertume marquée. Il est un peu rêche mais a une jolie persistance en bouche. Il est beaucoup plus viril que le premier. Sa finale est très crayeuse, avec beaucoup de personnalité. Les carelles sont un lieu où l’on extrayait des carreaux de craie, ce qui explique le final.
Nous goûtons ensuite un champagne qui n’a pas encore été diffusé, un Champagne Jacques Selosse Lieux Dits La Côte Faron d’Ay. Comme le champagne est chaud, la bulle est très agressive au premier contact. Le vin est plus difficile à cerner et plus neutre que le précédent. Il a un joli fruit et évoque l’amande.
Le troisième Lieux Dits est le Champagne Jacques Selosse Lieux Dits Le bout du Clos à Ambonnay. Comme les deux précédents, il est fait de vins de 2004 et 2003. Ici, c’est une majorité de pinot noir. Un peu fumé, je lui trouve une tendance tabac, feuille séchée. On peut aussi lui trouver du pain d’épices et du coing. Il est très élégant sur des petits pains à l’olive et sur du parmesan. Sur le fromage, on peut ressentir son côté floral.
Nous passons à table avec le Champagne Jacques Selosse 1999. La couleur est bien ambrée. En bouche il est fumé, tendance armagnac. Il y a des fruits bruns. Il est imposant et me fait penser au Cardinal de Richelieu. La force est imposante.
J’ai apporté un Vin de l’Etoile de la Coopérative vinicole de l’Etoile 1973. Etant un adorateur de ces vins du Jura, je voulais créer un pont entre celui-ci et le Substance de Selosse. Comme on nous apporte une cassolette de cèpes légèrement aillés, j’anticipe l’apparition de mon vin pour profiter de l’accord. Ce vin n’a pas d’âge. Il a forte acidité, un grande minéralité, et il s’épanouit sur la sardine crue qui nous est servie maintenant. Il devient ample, presque voluptueux, et le lien avec le 1999, un peu amer, assez fumé, se fait très bien.
Les deux vins s’étoffent dans leurs verres. Le 1999 devient opulent, et l’Etoile se civilise, devenant charmant. Quand arrive le Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en octobre 2010, on sent de l’orange et des fruits frais, avec un final oriental que crée le navarin d’agneau aux épices légères. Le vin est puissant et c’est lui qui – comme je le souhaitais – crée la résonance avec le vin de l’Etoile.
L’Initial de l’apéritif offre maintenant des aspects de feuilles anisées.
Sur une poêlée de quetsche, je goûte le « Il était une fois » de Jacques Selosse, fait de moûts de raisin et alcool, qui titre 15°. Il est dans des tons de prune, de pruneau, de figue et de miel.
J’avais appelé Didier Depond président de Salon avant le déjeuner qui m’a dit que des visiteurs américains de son domaine déjeuneraient à l’hôtel Les Avisés, que l’on écrit HôteLes Avisés. Ils arrivent, avec des restes de dégustation, et on me propose un verre de Champagne Salon 1997 qui arrive à point nommé pour une autre vague de sensations.
L’atmosphère étant très conviviale, j’ai pu bavarder avec d’autres tables, dont les américains visiteurs de Salon et un œnologue local. Mais c’est surtout avec Corinne et Anselme Selosse que j’ai eu des échanges féconds. On sent leur fébrilité pour savoir si leur hôtel va connaître le succès. Je n’ai aucun doute là-dessus, car le bouche à oreille va très rapidement couronner leurs efforts. Stéphane le chef fait une cuisine bourgeoise classique et sans chichis. Nathalie son épouse est en salle. Les tables se parlent entre elles, car ici, c’est de vin que l’on parle.
Les champagnes Selosse sont marqués par un désir permanent de perfection du geste. Le verre le confirme. Ce fut un beau déjeuner.