Lors du déjeuner à Apicius avec les rhums La Mauny, j’ai rencontré un journaliste et écrivain spécialiste en alcools, dont whiskys et rhums. Au cours de la conversation j’avais suggéré qu’il vienne voir les alcools de ma cave et rendez-vous fut pris pour visiter et déjeuner sur place. Il est en charge des victuailles et je fournis le liquide, puisqu’il y en a. Alexandre se présente à l’endroit de ma cave et tombe en arrêt devant les milliers de bouteilles vides alignées dans un grand salon. Nous allons ensuite dans la cave pour visiter les alcools, tous stockés debout sur des étagères à hauteur des yeux. Il n’y a aucun ordre de rangement et un foisonnement d’alcools de tous types, myrtille, cumin, gentiane, goudron, absinthe, mandarine, cherry, calvados, prune, pastis, Byrrh, Mandarin, Clacquesin, noyau de Poissy, prunelle, j’en passe et des meilleurs et bien sûr, des marcs, whiskys, whiskeys, bourbons, eaux de vie, armagnacs, cognacs, chartreuses, auxquels s’ajoutent les vins de Chypre, les malvoisies, les madères, les rancios, les samos, les portos, les Xérès et autres vins doux. Beaucoup mieux que moi Alexandre sait ce qui est rare et ce qu’il ne l’est pas. Il y a des bouteilles qu’il n’a jamais vues, des très rares et des très banales. Au cours de la visite je repère une bouteille dont le niveau a baissé, d’une forme qui évoque un madère ou un vin du sud de l’Espagne, très vieille et sans la moindre indication. Elle me tente et je propose que nous la goûtions.
Nous remontons pour déjeuner. Alexandre a apporté trois types de jambons, une tapenade qui flirte avec un pesto, trois fromages et deux tartelettes. Il a bien fait les choses.
Je débouche la bouteille. Le bouchon se casse en deux car à l’intérieur du goulot le verre resserré en milieu de bouchon l’empêche de sortir. L’aspect du bouchon me fait penser qu’il a plus de cent ans. Le parfum du vin est inimaginable. Il est d’une douceur et d’un charme incommensurable. C’est un parfum caressant de confiture de fraise. Mais il est captivant et envoûtant. La bouche est plus calme, plus tranquille, doucereuse et légèrement sucrée. Du fait de la forme de la bouteille, j’ai encore en tête l’idée d’un madère qui aurait évaporé son alcool, mais fort justement Alexandre m’oriente vers un porto blanc. Et cette idée est plus réaliste car elle colle avec la douceur agréable de ce que nous buvons. Disons que c’est probablement un Porto blanc années 1920 ou un vin de la péninsule ibérique qui aurait un peu perdu de son alcool. Si le vin va bien avec le jambon, un champagne serait plus adapté à la suite du repas. J’ouvre un Champagne Salon 1997. Je dis « j’ouvre », mais le bouchon me résiste tellement qu’il me faut une clef anglaise pour faire tourner suffisamment le bouchon pour qu’à la fin il daigne remonter. Très naturel, facile, gourmand, le Salon 1997 est à son aise sur la tapenade que sur un fromage bio à peine affiné que j’ai apporté. Nous bavardons de mille anecdotes et une idée me vient. Alexandre réunit parfois des amis pour des dégustations d’alcools à thème. Pourquoi ne pas composer un dîner sur la structure de mes dîners qui exclut les thèmes et choisir des alcools très disparates pour créer des associations avec des plats les plus osés possibles.
Alexandre a pris des centaines de photos dans ma cave. Des idées s’échafaudent. J’adore ces casse-croûtes improvisés.