C’est la première fois que je visite la maison de champagne Henriot, à l’invitation de son président, Gilles de Larouzière, qui est aussi président de la maison Bouchard Père & Fils et des autres domaines de son groupe. Nous visitons les salles où d’immenses cuves inox de 46.000 litres ou plus contiennent des vins en vieillissement, dont la fameuse Cuve 38 qui contient des champagnes de 1990 jusqu’à la dernière vendange et qui est soutirée selon les années de 3 à 20% de son contenu. C’est dans le même esprit que la technique de la solera par laquelle on ajoute dans un fût le vin de l’année qui compense ce que l’on vient de soutirer.
Béatrice, la responsable des relations extérieures, nous propose de goûter un verre du vin tranquille de la Cuve 38. Le nez est celui du champagne, alors que la bouche montre un peu de fleurs blanches mais surtout un caractère lacté. Tenant en main chacun notre verre, nous descendons dans les caves à 18 mètres sous terre. C’est toujours impressionnant et la réserve des vieux millésimes est ce qui fait battre mon cœur un peu plus fort.
Nous remontons et dans la jolie salle de dégustation j’ouvre le vin que j’ai apporté, Un Vin de l’Etoile de la Coopérative Vinicole de l’Etoile 1973, car j’aimerais que nous puissions vérifier s’il y a une fécondation possible entre ce type de vin et l’un des champagnes Henriot. Béatrice ouvre un Champagne Henriot Cuvée Hemera 2005 qui est le premier millésime de la cuvée phare de la maison Henriot et se substitue à la cuvée des Enchanteleurs. Cette cuvée est à parts égales en chardonnay et pinot noir, et composée uniquement de grands crus. Son ambition est d’être un vin lumineux comme la déesse Hemera est la déesse de la lumière du jour. Le champagne est frais, précis, mais je le trouve sacrément guerrier pour un vin lumineux. Il est d’une très belle expression, tendu, vif, et sera un vin de haute gastronomie.
Le Vin de l’Etoile de la Coopérative Vinicole de l’Etoile 1973 a une attaque curieuse, évoquant la pierre ronde d’un cours d’eau de montagne et des saveurs iodées. C’est dans le finale qu’il s’anime le plus, avec de beaux fruits jaunes mais aussi un peu de fruits rouge clair. Lorsque l’on revient au champagne, on s’aperçoit que le champagne est plus large, plus ample et la fécondation que j’aime se produit. Dans le sens inverse, lorsque l’on retrouve le vin du Jura, il n’y a pas de fécondation et le champagne n’arrive pas à rendre plus aimable l’attaque de ce vin qui brille surtout par son finale joyeux.
La neige vient de tomber sur Reims et nous allons déjeuner au restaurant Le Millénaire de Laurent et Thibault Laplaige. Nous avons pris la bouteille du 1973 avec nous et demandons la permission de la boire à notre table de deux, Gilles et moi.
Le menu que je choisis est : langoustines à la plancha, velouté de lentillons de Champagne aux châtaignes, espuma jambon de Reims / le turbot rôti, ravioles de poireaux ricotta et citron vert, émulsion champagne / tarte amande-mirabelle, poire pochée, gel tonka et sorbet mirabelle.
Gilles avait fait livrer une bouteille dont la forme m’est connue mais dont je ne vois pas l’année. Nous sommes servis et nous goûtons et Gilles me demande quelle est l’année. Je réfléchis et le premier chiffre que je propose est 1964. Gilles me tape dans la main : c’est 1964. Je ne suis pas peu fier. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1964 combine une très grande vivacité avec une sérénité accomplie, toute en douceur. Le champagne est à la fois rond et profond et d’une personnalité extrême. Bu seul, on sent son dosage agréable et prononcé. Dès qu’il accompagne un plat, il gagne en tension.
Le vin du Jura lui aussi prend de l’étoffe avec les plats délicieux. Les langoustines sont d’une cuisson parfaite, les raviolis mettent en valeur la belle chair du turbot et le dessert convient idéalement au champagne. C’est une cuisine de très haut niveau. Le cadre est agréable et joli. Le service est un peu austère mais cette table me fait une excellente impression. Le patron dont Gilles me disait qu’il sort rarement de sa cuisine est venu nous saluer deux fois en cours de repas en souriant. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1964 est un champagne de très haut niveau dans une gamme de goûts généreux qui correspondent à ce que j’aime le plus. Plus gourmand, je crois qu’il n’y a pas. Faudrait-il le garder à côté de la Cuvée Hemera ? Je ne dirais pas non, si c’est possible.
Les discussions ont été riches. Ce repas est un grand repas illuminé par un champagne d’exception dans une de ses plus belles années.
visite en cave
la fameuse cuve 38
la salle de dégustation