Par un ciel sans nuage et un soleil froid qui succède à une lune presque pleine, nous arrivons au domaine de la Romanée Conti. Aubert de Villaine m’avait prévenu la veille qu’un événement imprévu l’empêcherait de partager le déjeuner avec nous mais je n’avais pas écouté son message sur mon portable. Nous allons dans les chais de maturation où se trouvent les 2007 et les 2006. Chacun de nous porte son verre et Bernard Noblet est en charge de la pipette qu’il actionne au rythme que lui indique Aubert de Villaine. Nous commençons par le Vosne-Romanée Duvault Blochet Domaine de la Romanée Conti 2006, que je trouve très agréable à boire à ce stade de sa vie. Ce vin sert à nous préparer la bouche pour accueillir tous les rouges du domaine. L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2006 est nettement plus plaisant. Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2006 est encore plus plaisant que l’Echézeaux. La complexité est belle. Aubert de Villaine aime tout particulièrement le Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2006 qui malgré un nez austère a une magnifique subtilité. Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2006, a un nez très agréable mais se présente complètement fermé, tout en dévoilant des possibilités énormes. C’est l’inverse du La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2006 qui est ouvert, aguichant, et que je situe au même niveau que le Richebourg bien qu’il lui soit opposé. Les deux vins sont grands. Lorsque nous arrivons au moment de goûter la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 2006, je sens combien Aubert de Villaine aime ce vin. Ses yeux pétillent. Un sec « on ne crache pas la Romanée Conti » me rappelle à l’ordre et je m’exécute sans me faire prier. Aubert de Villaine nous dit qu’il est très rare qu’une Romanée Conti soit aussi ouverte à ce stade de son vieillissement. Nous buvons ce vin avec plaisir, conquis par son charme féminin et cette variation infinie des composantes qui fait rêver la planète.
Aubert de Villaine nous donne très peu d’explications techniques. Il indique que la mise en bouteilles au domaine se fait à certains moments de la lunaison et me signale un article écrit par Michel Le Gris, « de l’influence du climat sur la dégustation des vins », qui suggère que l’appréciation d’un vin change avec la pression atmosphérique ambiante.
Nous nous rendons en cave dans la petite pièce voûtée où l’on déguste à l’aveugle. Il faut voir la complicité qui existe entre Bernard Noblet et Aubert de Villaine. Le choix des bouteilles qui seront ouvertes, en fonction de la qualité des visiteurs ou de leur sympathie, est un exercice de mime qui se joue à d’imperceptibles mouvements des yeux. Lorsqu’il est question d’accéder aux vins du caveau, on sent dans les yeux de Bernard : « vraiment, on peut ? » et dans les yeux d’Aubert : « oui, tu peux ».
Le premier vin a un nez très expressif. En bouche j’aime le fruit d’un vin pur et de belle longueur. C’est un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2000. On sent que le vin sera bon dans une quinzaine d’années et que l’année n’est pas si petite que ce qui a été dit. Le deuxième vin a un nez un peu amer. Bernard Noblet grimace car les traces végétales ne sont pas loin d’un effet de bouchon. Malgré l’astringence et le léger défaut, le vin se boit correctement. C’est un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1991.
Le troisième vin a tout ce qui fait la signature du domaine. La salinité très présente, le caractère strict, le poivré, le style monacal. J’aime le fruit distingué et la fraîcheur mentholée. C’est surtout la fraîcheur d’attaque qui est remarquable. Il s’agit le La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956. Il convient de signaler que nous buvons tous ces vins ouverts sur l’instant et frais, à température de cave. Il faut donc attendre un peu, et l’on remarque l’expansion que prend ce 1956, dont le fruit devient joyeux. L’écart entre le début et la fin de l’approche du vin est spectaculaire. Les fruits rouges abondent et le final devient brillant, contredisant tous les discours sur les vins du Domaine de la Romanée Conti de 1956.
Les regards se croisent entre Aubert et Bernard, et le quatrième vin est un blanc. Le nez évoque celui des sauternes, tout en étant sec, ce qui suggère un botrytis supérieur à la normale. En bouche il y a des traces de sucre, du caramel, de la brioche, et ce qui frappe, c’est la complexité extrême. Il est un peu fumé, doté d’une très belle acidité, opulent, au final de pamplemousse rose poêlé. Plus il s’ouvre et plus il devient grand. C’est un Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1987. Bernard Noblet prend des notes comme nous, qui vont enrichir les archives du Domaine.
J’y étais !
Le caveau, dont le nombre de trésors est très faible.
Bernard Noblet prêt à ouvrir une bouteille. Mon objectif en est tout ému et pleure !