Steve, mon ami collectionneur californien organise à San Francisco l’un de nos deux dîners annuels de vins anciens, l’autre étant à Paris. Nous avons mis au point nos apports respectifs, et quand il s’est agi d’envoyer mes vins, les formalités successives m’ont empêché d’y arriver. Me demander si un sauternes de 1898 a bien sa capsule à congé avec la Marianne qui indique que les droits de circulation ont bien été payés me paraît au dessus de mes forces. Me demander si l’exportation d’une bouteille de champagne de près d’un demi-siècle est autorisée par le Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne m’a fait renoncer. Le transporteur qui avait pris mes vins m’avait assuré que tout était au point. Mes vins ont fait le trajet de la cave jusqu’à Roissy et retour. J’en suis attristé.
Une récente étude à révélé que Roissy aurait le privilège d’avoir été nommé le pire aéroport du monde. Je ne suis pas bon juge, mais c’est vrai que cet aéroport n’est pas très « customer friendly », comme on dit en Auvergne. Après avoir fait un début de déshabillage au contrôle, je m’assieds à une cafétéria qui a ciblé son offre pour les gens qui font un voyage de Provins à Melun en rickshaw, mais en facturant au tarif du Ritz de la Place Vendôme. La France, terre de gastronomie, paradis des croissants et petits pains, joue profil bas. Mais la France flaire l’argent. Si un riche voyageur veut emporter en duty free un Pétrus 1990, il paiera 6.000 € de plus que ce qu’il paierait à un commerce en ville. Et si l’envie lui vient d’acheter une bouteille de Mouton-Rothschild 1945, qui, à vue de nez, ressemble à un faux, il laissera une marge de plus de 10.000 € au magasin. « Vive la France » ou : « ça c’est Paris ».
Le vol de Paris à San Francisco est agrémenté de deux repas. Avant le premier, on propose une coupe de champagne. Je pense n’avoir jamais bu un champagne aussi mauvais. On dirait du vin blanc auquel on aurait ajouté une grossière eau de Seltz. La maison aurait été créée en 1730. Les progrès sur 269 ans ne semblent pas évidents. Je ne nommerai pas cette maison. Les repas sont assez quelconques, mais cela paraît difficile de proposer des cuissons correctes dans ces emballages. Grâce à une gestion efficace des films dont on gère soi-même le déclenchement, le voyage de onze heures paraît très court.
L’atterrissage fut un choc énorme faisant sonner des sirènes qui font plus peur que le choc lui-même. Comment se sera comporté le vin de 111 ans qui est dans ma valise ? L’avenir le dira. Après les traditionnelles attentes au passage de la douane où le moindre humour est déconseillé, un chauffeur m’attend pour me conduire à l’hôtel en centre ville. J’ai la même chambre que l’an dernier avec une vue sur le Golden Gate que le brouillard montant du soir est en train d’envelopper.
Il est temps de me reposer, car dans les prochains jours, nous boirons de grands vins.