Il est des moments où l’on pense que l’on atteint l’apogée des sentiments.
La scène se passe dans l’avion de retour. Après neuf heures de vol et alors qu’il en reste environ deux, on nous sert un petit-déjeuner. J’imagine assez l’acheteur des produits alimentaires de cette société de transport aérien, demandant du jambon, à condition qu’il soit trop salé et rempli d’eau, demandant que le yaourt ait un goût de gélatine et qu’aucune saveur ne puisse imiter de près ou de loin celle d’un fruit, cherchant le pâtissier qui pourrait construire un pain au chocolat qui ait la texture et le goût d’un matelas, mais la sensation n’est pas là.
Elle est dans la petite coupelle qui contient une salade de fruits. Ce bol plat de forme carrée est entouré d’un film plastique protecteur, transparent et bien lisse sur le dessus, et froissé et replié sur le dessous. Dans le siège exigu, le mouvement se passe ainsi : d’une main on soulève la coupelle, et de l’autre, on farfouille en dessous pour trouver les bords du film plastique afin de le dérouler. Et c’est à ce moment-là qu’une des sensations les plus vives se produit. La main du dessous a les doigts recroquevillés qui palpent, qui grattent, qui extirpent. Le plastique se détend, s’ouvre, se déroule. Il est assez compréhensible qu’en avion, il y ait des soubresauts. Quoi de plus logique. Dans ces conditions, le jus de la salade, sorte de sirop bien sucré, a sauté des bords de la coupelle pour s’étaler dans les plis du film. Et que fait la main qui cherche à ouvrir ? Elle reçoit lentement et délicatement le sirop qui glisse dans la paume. Et plus le film se déroule, et plus la paume devient gluante, suinte et arrose le reste du plateau. Prisonnier que l’on est de ses deux mains, on endure ce supplice comme l’un des plus sadiques que l’on puisse connaître.
Voyageurs mes frères, évitez les salades de fruit dans les avions.