Une revue suisse adressée aux titulaires d’une carte de crédit qui fait de vous un théorique roi de la Terre, veut faire un reportage sur mon activité. Un rendez-vous est pris avec une journaliste et une photographe, pour visiter ma cave. Elles souhaiteraient aussi me photographier dans un des restaurants de mes dîners. Au même moment un américain de passage à Paris, qui m’a vu écrire sur un forum, souhaite me rencontrer. J’imagine que nous pourrions partager un repas dans un des restaurants où j’organise mes dîners. Mais le TGV des journalistes a deux heures de retard. Nous ne pourrons pas aller au restaurant. Je demande à cet américain totalement inconnu (il a lu mes aventures sur le site de Robert Parker) s’il veut me rejoindre dans ma cave et partager une belle bouteille, s’il apporte des sandwiches pour cinq. Il dit oui.
Nous nous retrouvons donc dans ma cave où je réponds aux questions de la journaliste, où je prends la pose pour la photographe, et voici qu’un américain de l’Alabama qui ressemble à un gamin, se présente avec sa ravissante petite amie et les sandwiches. Il erre avec des yeux émerveillés dans ma cave. Photographié, j’ouvre un Chambertin Pierre Damoy 1961, le même que celui que j’avais offert à un autre journaliste à un déjeuner chez Jacques Le Divellec. Il me fallait ouvrir un vin déjà ancien, qui supporte une ouverture rapide, puisque l’on ne peut pas attendre, et qui s’épanouisse dans une atmosphère froide puisqu’il est bu en cave. Ce Chambertin correspond à cette attente, car sa solidité lui permet d’être expressif, même dans ces circonstances. Pendant la conversation, j’entends que le jeune américain et la journaliste n’ont jamais bu d’Yquem. Est-ce un appel inconscient, je ne le sais. Un de mes collaborateurs est allé acheter des desserts. J’ai l’envie d’ouvrir une Yquem. Je vois, en errant dans les allées, une demie bouteille d’Yquem 2002. Il faut être fou pour ouvrir un vin si jeune et si pâle. Je l’ouvre. Mes compagnons de cave sont émus. Le vin est délicieux, avec des évocations de jeunes fruits verts. C’est énigmatique, troublant, tout en douceur végétale et je le trouve diablement intéressant. On est loin de la puissance traditionnelle d’Yquem 2001. On est dans un registre plus romantique, plus floral, plus délicat. Il est évidemment moins bien noté par les critiques, mais j’aime bien qu’Yquem explore aussi cette facette là.
Quand j’ai fermé les multiples serrures de ma cave, je savais que j’avais fait plaisir à de jeunes personnes qui découvraient leur premier Yquem.