David, l’animateur du groupe d’œnologie de Sciences Po m’avait contacté il y a de nombreux mois pour que je vienne parler de vins anciens devant une quarantaine d’élèves et anciens élèves. Ayant fait à Normale Sup’ une présentation en compagnie d’un vigneron ami, j’ai suggéré de recommencer cet exercice en binôme. Ce soir, je serai aux côtés de Pierre Lurton qui présentera Yquem.
Quand je me présente, deux élèves rangent les tables et les chaises, n’ont pas encore ouvert les bouteilles, n’ont pas les verres, mais comme par miracle, tout s’assemble au bon moment. C’est plutôt du « last minute » que du « just in time », mais si ça marche, bravo les jeunes.
(la salle avant le début de la réunion)
Pierre Lurton arrive tout sourire et présente le prestigieux domaine du Château d’Yquem. Nous commençons par déguster « Y » d’Yquem 2006. Le nez est de citron vert très raffiné. La bouche est élégante, avec des écorces d’agrumes. Il n’a pas tellement de longueur, mais il promet. Il a du gras, de la charpente, et ce que l’on retient surtout c’est qu’il offre déjà une belle maturité en ne montrant aucun signe des déséquilibres habituels des vins blancs jeunes de Bordeaux.
Le Château d’Yquem 1999 a un nez assez fermé. Et quand il s’ouvre, il offre de belles fleurs blanches. La bouche est très agrumes, et lorsque l’on revient au « Y », le cousinage entre les deux vins est saisissant. Il n’est pas très long, n’a pas beaucoup de richesse, mais il compense par une ravissante fraîcheur. Il a un peu de pâtes de fruits qui donnent de la consistance. Sa caractéristique est d’être élégant.
Avec le Château d’Yquem 1996 on entre de plain-pied dans le monde d’Yquem. Car voilà un vrai Yquem. Le nez est beaucoup plus riche et l’on y trouve du coing. Le goût est beaucoup plus épanoui. La trace finale est la signature d’Yquem. La pâte de fruit est construite, le poivre est agréable, le pamplemousse et l’orange ajoutent la note d’agrumes indispensable. La longueur est là avec une fraîcheur remarquable.
Le Château d’Yquem 1989 est un des membres actifs d’une trilogie légendaire pour Yquem : 88, 89 et 90. Le nez est superbe, épanoui à souhait. Fruits confits et agrumes sont richement développés. Le goût est puissant, concentré, très droit. Il joue plus sur la puissance et un léger goût de camphre me gêne un peu. Son sucre est un peu fort. On sent le sucre caramélisé. Le final n’a pas l’affirmation que j’aurais attendue.
J’interviens auprès de Pierre Lurton pour parler de vieux Yquem dont l’évocation fait briller les yeux des élèves, aux remarques pertinentes. J’ai apporté deux vins que nous allons goûter sur deux chocolats achetés par les élèves, un chocolat résolument noir et l’autre plus doux. Le Maury La Coume du Roy, domaine de Volontat 1925 est extrêmement doux et ne fait pas son âge. Son attaque est toute en rondeur, puis l’alcool s’installe en bouche et son final d’une grande finesse apporte une fraîcheur particulièrement élégante.
Le Banyuls de coopérative 1929 ne montre aussi aucun signe d’âge. Son fruit est plus riche et plus expressif que celui du Maury. Il est plus fort en alcool et bénéficie lui aussi d’une belle fraîcheur. Je préfère le banyuls. Mais sur le chocolat, c’est le Maury qui emporte la mise, car la continuité gustative est nettement plus évidente, marquée par la douceur. Et c’est le chocolat le plus rêche, le plus noir, qui fait vibrer le Maury pour l’enrichir encore.
Il faut rendre la salle à 21h15, ce qui met un terme à mille questions d’élèves passionnés. Un ancien me dit qu’une tradition est de poursuivre les discussions dans un restaurant voisin.
(avec de telles munitions, tout est sourire)
Dans un restaurant italien proche, nous sommes huit, dont trois anciens ont déjà entamé une carrière dans le monde du vin. Il reste du « Y » et suffisamment d’Yquem pour que nos échanges se poursuivent au-delà de minuit. Ces jeunes, enthousiastes, montrent que l’amour du bon vin n’est pas près de s’éteindre. Des mordus participent aux concours inter-écoles. Il est prévu de se revoir soit à l’académie des vins anciens, soit lors d’un de leurs concours. Ça bouge à Sciences Po.